Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la grande abbaye de Santa Trinita près de Mileto, séjour du comte Roger, il ne reste que des colonnes antiques couchées dans les herbes. La cathédrale de Gerase semble à M. Bertaux reproduire le type de ces édifices disparus : basiliques à trois nefs, sur colonnes et chapiteaux antiques. A Capoue et à Salerne, les deux cathédrales, l’une de 1068, construite par le comte Jordan, prince normand de Capoue et l’archevêque Hervé (il n’en reste que l’atrium), l’autre, portant, avec le nom de Jordan, celui de Guiscard, consacrée par Grégoire VII en 1084, conservent les mêmes données, celles de la grande basilique du Mont-Cassin devenue, pour longtemps, le modèle idéal.

Le premier monument complet auquel s’attache, dans l’ordre des temps, le nom d’un prince français, est la chapelle funéraire de Bohémond, prince d’Antioche, adossée à la cathédrale de Canosa près de Bari. Or, voici que le lieu où repose le vaillant et romanesque prince d’Antioche, le bel amant des sultanes, a voulu rappeler ses exploits d’Orient, plus que ses origines nationales. L’édicule, de forme cubique, plaqué de marbre cipolin, avec sa coupole ronde sur tambour octogonal, ses portes de bronze sculptées et gravées, ses longues inscriptions, nous apparaît comme une évocation de la Syrie musulmane. « C’est un véritable turbeh ! » s’écrie Lenormant, et M, Bertaux, comme Schultz et Huillard-Bréolles, s’arrête surpris devant ces vénérables portes, où s’agenouillent et se dressent, parmi d’exquises arabesques déroulées en lacis sur les bandes ou nouées en disques sur les vantaux, cinq personnages drapés, Bohémond, peut-être, son frère Roger, leurs enfans et le fameux neveu Tancrède, le futur héros du Tasse. L’inscription, aussi, a des allures d’Orient. « Sur le métal fin, qui a pris, dans ce cadre de marbre doré par le soleil, une merveilleuse patine verte, les rudes distiques du clerc inconnu semblent sonner le fer. » L’épitaphe, martelée d’allitérations bizarres, « débute par un jeu de mots formidable, » dit justement M. Bertaux : « Ce que valut Bohémond, dont retentit le monde, la Grèce l’atteste, la Syrie en fait le compte... Il a bien mérité son nom, lui qui éclatait comme un tonnerre sur le monde écrasé. Je ne puis l’appeler un homme, je ne veux pas l’appeler un Dieu. Celui qui, vivant, s’efforça de mourir pour le Christ, a bien mérité que, mort, la vie lui fût donnée. Que la clémence du Christ accorde donc à son fidèle athlète de combattre encore dans les Cieux ! » Que dites-vous du