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monastères bénédictins, » puis aux « Miniatures des Rouleaux liturgiques et l’illustration de la prose Exullet, » ne sont pas les moins nourris et les moins instructifs de son travail. En examinant à nouveau, avec un œil d’artiste, ces précieux manuscrits conservés, en partie à l’abbaye même, en partie dans les bibliothèques de Rome, il leur a rendu leur véritable importance dans l’évolution en cours. Un seul, une Règle de Saint Benoit, est antérieur à l’incendie de 950. Une série nombreuse date de 1022 à 1035, sous l’abbé Théobald. Déjà dans les grandes initiales, d’un style riche et libre et dont les entrelacs fantaisistes juxtaposent par des combinaisons aussi variées que les jeux du kaléidoscope, les polychromies éclatantes des émaux et mosaïques qu’elles imitent, se révèle, avant l’abbé Didier, un très bel effort d’imagination locale, associant des réminiscences anglo-saxonnes et carolingiennes aux traditions latines. La figure humaine, seule, quand elle s’y montre par hasard, est d’une naïveté et d’une grossièreté enfantines. Tout à coup, les choses changent dès que les byzantins apparaissent. Avec eux, sous leur influence, reparaît aussitôt la recherche de correction dans les formes, le besoin de clarté dans la mise en scène, et, bientôt, avec une intelligence remarquable des réalités vivantes, un esprit juste et libre d’observation. Un manuscrit du Vatican (no 1 202) la Légende de Saint Benoit et de Saint Maur, contient 98 scènes, où le miniaturiste apporte un tel souci de vérité « qu’il fait vieillir le saint d’une page à l’autre. » Sans doute, comme exactitude anatomique, c’est encore bien douteux : les pieds sont trop petits, les mains mal emmanchées, les raccourcis hasardeux ; pas de fonds, pas de perspectives. Mais quelle juste vision, vive et forte, des mouvemens naturels et des expressions franches ! Telle ou telle de ces figurines incorrectes pourrait faire envie à nos meilleurs naturalistes. Tel, par exemple, un prisonnier, grelottant de froid et de peur ; tel un jeune possédé, dont les pieds se tordent et les cheveux se hérissent, tandis qu’il vomit le démon chassé par le Saint. Ce bon enlumineur, vraiment, a toutes les audaces ; il fait danser, devant le Saint, une ronde de femmes nues qui ne seraient des Vénus que chez les Hottentots ; il dessine, au passage, comme le devait conseiller Ingres, un homme qui tombe d’un toit, la tête en bas. On se croirait au XVe siècle. Le peintre était-il byzantin ? Toutes sortes d’accessoires le semblent dire. Est-ce un imitateur italien des miniatures