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démêler, dans ces imageries routinières, exécutées par des ouvriers ambulans ou des moines amateurs, ce qu’il y a de poncif et ce qu’il y a de personnel, y devient plus grande encore. Néanmoins, il est facile d’y voir, en comparant les figures des mêmes personnages, que jamais elles ne s’y reproduisent d’une façon absolument identique. Si servile que puisse être un peintre vis-à-vis d’un modèle, il ne l’est jamais assez, surtout dans des conditions pareilles, pour ne pas y ajouter ou retrancher, malgré lui, quelque chose. L’élaboration d’un art nouveau fut sans doute plus inconsciente dans ces solitudes écartées que dans les villes de l’Italie centrale, mais ce serait oublier les heureuses fatalités de l’activité humaine que de ne l’y pas reconnaître. Pour peu qu’on aime et comprenne, dans l’art, autre chose que la correction scolaire et le rendu matériel, pour peu qu’on y sache ressaisir une communication, sincère et émue, avec des âmes lointaines et disparues, ce n’est pas sans respect qu’on entrevoit, à la lueur des flambeaux, dans ces cavernes conservatrices, toutes ces images incertaines ou grossières ! Tous ces anges ailés, tous ces archanges vainqueurs, tous ces saints guerriers, toutes ces vierges protectrices, n’ont-ils pas, durant des siècles, entendu les sanglots, consolé les misères, relevé les espoirs d’innombrables supplians : solitaires écœurés par les horreurs de la vie réelle, citadins, paysans, femmes, enfans, ruinés, sans gîte, fuyant, affolés, devant les corsaires d’Afrique ou les pillards de Normandie ?

A la suite du dernier massacre, par les Musulmans, au Mont-Cassin, les survivans, disciples de saint Benoît, s’étaient d’abord réfugiés à Teano. Leurs successeurs s’établirent ensuite à Capoue. C’est seulement en 950, après la pacification de la contrée par l’empereur Othon, qu’ils purent remonter de nouveau sur la montagne sainte. Cette fois, ils y prirent mieux leurs précautions, ils se mirent à l’abri des coups de main. L’ensemble gigantesque des constructions entreprises par les abbés, de races nobles, aux mœurs militaires, vaillans et actifs, fut conçu comme une vaste forteresse. L’abbé Jean y fonde une première église, l’abbé Aligerius l’achève, l’abbé Manso l’entoure de remparts. Quand les aventuriers normands l’attaquent en 1045, le couvent leur résiste, et l’abbé Richer, son défenseur, peut entreprendre le palais abbatial. Sept ans après, en 1058, lui succède ce grand abbé, dont l’histoire a glorifié le nom, l’abbé Didier qui devait coiffer la tiare sous le nom de Victor III. Par lui se complètent la force