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de l’art, l’amour fidèle qu’il enseignait dans ses poèmes pour la beauté saine et calme des chefs-d’œuvre antiques. C’est bien le génie latin, clair et pratique, qui lui inspira la pensée de dérouler, face à face, aux yeux d’une plèbe rustique et inculte, en tableaux parallèles, les épisodes les plus saillans de la Bible et de l’Évangile. Cette ordonnance est déjà celle que l’on retrouvera fréquemment sous la main des fresquistes, notamment, au IXe siècle, dans le Palais de Louis le Débonnaire, à Ingelheim et au XVe siècle, dans la chapelle Sixtine, au Vatican. L’idéal, oriental et fantastique, l’idéal surnaturel et terrible, n’y trouble pas encore, dans ce climat pur, sur ce sol naguère embaumé de la floraison mourante des rêveries polythéistes, la confiante sérénité du christianisme victorieux. Sérénité trompeuse, sérénité éphémère, que les invasions, les pillages, les incendies, les massacres, les épidémies allaient vite détruire et pour longtemps ! Le saint évêque de Nola vécut assez pour voir sa Rome, sa chère Rome, violée et saccagée par les Goths d’Alaric. Son désespoir de fervent chrétien fut égal au désespoir de fervent païen qui s’exhala alors, en plaintes éloquentes, par la bouche d’un autre Gallo-Romain, Rutilius Numatianus. Celui-ci était Aquitain et patricien comme lui, ancien préfet comme lui, poète comme lui, son ami peut-être. Mais, tandis que Paulin se faisait moine et solitaire, Rutilius méprisait et raillait les moines et les solitaires du même ton qu’un encyclopédiste du XVIIIe siècle. Rien ne restait de commun entre eux que leur admiration, leur respect filial pour la grande Rome. N’est-il pas curieux de surprendre, à leur source, dans cette grande crise du monde, chez nos ancêtres, les deux courans de piété soumise et de raillerie sceptique qui se disputeront toujours notre âme nationale ? N’est-il pas intéressant de voir l’un d’eux, le chrétien, l’homme du progrès moral, pressentir, dès lors, pour l’art futur, l’idéal d’expression vivante, naturelle, humaine, qui devait, plus tard, après huit siècles d’engourdissement ou de tâtonnemens, refleurir d’abord, par l’amour de la nature et le besoin de beauté, dans son pays natal, sur cette même terre des Gaules, restée, toujours et malgré tout, obstinément latine, sous l’apport fécondant des alluvions germaniques et scandinaves ?

Du VIe au XIe siècle, jusqu’à l’établissement de la dynastie normande, durant les invasions successives et occupations superposées des Goths, Lombards, Byzantins, Francs et Sarrasins,