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lorsqu’un jour on égara sa salière d’argent. Aussitôt la cour s’arrête à Béziers et l’on envoie des courriers à Narbonne et à Valence, « pour faire crier la salière du Roi qui était perdue. »

Un état de la vaisselle d’argent de l’archiduc Philippe le Beau, roi d’Espagne, en 1501, monte à cent kilogrammes environ ; l’inventaire du Comte d’Angoulême, père de François Ier, en 1497, accuse un poids de 88 kilogrammes d’argenterie. Mme de La Trémoïlle, dont le mari est un des plus riches personnages de France, fait réparer en 4396 sa vieille vaisselle qui pèse seulement 38 kilos ; quand il faisait réparer la sienne, le Duc de Bourgogne, Jean sans Peur, ne dédaignait pas de manger dans des plats d’étain ; sans doute parce qu’il n’avait pas grande abondance d’orfèvrerie. Comme l’assiette de moyenne taille pèse plus d’une livre, cent kilogrammes d’argenterie, — dont il faut déduire les aiguières, bassins, sauciers, tasses et coupes, — ne représentent pas beaucoup d’« écuelles. »

Voisin et voisine mangeaient à deux dans la même, « à la mode de France, » et on ne la changeait guère au long du festin. Dans l’intervalle des repas, quoique les châtelains cossus eussent des argentiers, ceux-ci n’avaient pas le loisir de se livrer à cet entretien minutieux, faute duquel l’assiette d’argent, livide et mal débarbouillée, rayée en tous sens et balafrée par les traces du couteau, devient une somptuosité assez malpropre.

L’ennui d’un travail constant, assez parfait et assez bien dissimulé pour que les ingrédiens et les outils qu’il exige ne communiquent aucun mauvais goût au métal, a détrôné l’argent au profit de la porcelaine, chez les riches, et, pour les mêmes motifs, Pétain a été abandonné par la classe moyenne, devenue plus raffinée. Quant à la masse de la nation, quelle que fût sa délicatesse sur ce chapitre, elle eût bien été forcée de s’en tenir à sa vaisselle de bois, aux graillons tenaces, à ses grossiers et fragiles vases de terre, si la baisse des prix n’eût mis à sa portée les produits de la céramique moderne.

Celle-ci, quelque nom qu’elle porte, est d’hier ou d’avant-hier. Transparente ou opaque, elle se fabrique avec des substances inconnues ou inusitées dans le passé. Ce que nous nommons aujourd’hui « faïence fine » est de composition et de caractère plus voisins de la porcelaine que des anciennes faïences. Quant à la « porcelaine, » ce qu’on appelait ainsi jusqu’à l’introduction en Europe, à la fin du moyen âge, des produits de la