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qu’il parlait, soit plus tard, ou de se fier à sa mémoire dont on connaît la merveilleuse fidélité. C’est ce qu’il a fait pour ses autres discours, c’est ce qu’il a dû faire pour celui-ci. Sans doute, il n’est pas impossible qu’il ait cru devoir appuyer sur quelques points, qu’il avait plus rapidement traités la première fois, encore que la première Catilinaire soit assez courte et dans les limites ordinaires d’un discours sénatorial ; peut-être aussi a-t-il arrondi quelques périodes, ajouté quelque trait piquant, quelque épithète élégante, par amour-propre incurable de lettré ; mais ces changemens ont dû être de fort peu d’importance, et l’on est en droit de croire que, pour l’essentiel, le discours que nous lisons aujourd’hui est à peu près le même que celui qui fut prononcé devant le Sénat romain dans cette glorieuse journée.

Ce point acquis, abordons le discours lui-même. Rien de plus délicat, de plus compliqué que les circonstances dans lesquelles Cicéron prend la parole. Il veut obtenir de Catilina qu’il s’éloigne volontairement de Rome. Il emploie, pour le convaincre, toutes les ressources de son art ; il mêle les menaces aux prières ; il énumère, avec une franchise qui ne paraît pas toujours fort adroite, les raisons qu’il a de le lui demander. On ne sera pas surpris qu’il songe à sa sécurité personnelle. Souvenons-nous que le matin même il avait été l’objet d’une tentative d’assassinat, et que ce n’était pas la première. Après avoir essayé plusieurs fois de le faire tuer sur la voie publique, on venait d’envoyer des gens l’assassiner chez lui. Son émotion, et même sa frayeur se comprennent. Entre lui et cet ennemi, qui ne lui laisse aucun répit, il lui faut mettre une barrière, ou, comme il dit, « placer un mur » qui lui permette de respirer en paix. Mais, s’il est préoccupé de ses dangers, on comprend bien qu’il insiste encore plus sur ceux que courent ses concitoyens. Il est convaincu qu’en éloignant Catilina, il assure la tranquillité publique. Ce qu’il y a de curieux dans la situation, c’est que Catilina est aussi désireux de s’en aller que Cicéron de le voir partir. On pense bien que leurs raisons ne sont pas les mêmes. Cicéron croit que le départ de Catilina est le salut de la république, et Catilina qu’il en sera la perte, et les motifs qui le leur font croire sont faciles à comprendre. Catilina est avant tout un soldat ; il a peu de confiance dans ses partisans de Rome, qui parlent tant et agissent si peu. Il lui tarde de se trouver au milieu de ces vieilles bandes qui lui semblent la véritable force de la