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devient éloquente à la vue de nos provinces perdues. Maintenant la frontière est proche ; elle n’y résiste pas, elle ira constater par elle-même que depuis vingt ans qu’elle ne l’a vue, l’Alsace germanisée ne s’est pas réconciliée avec le régime impérial, que les Allemands, de quelque rang qu’ils soient, restent marqués de réprobation comme les Juifs des ghettos d’autrefois : « Je suis, dit-elle, sous un toit français sur le sol allemand, j’entends lire Lamartine et Victor Hugo, j’entends chanter les chansons de Nadaud. Quand, dans nos promenades, nous passons la frontière, les chevaux eux-mêmes semblent marquer leur joie par un trot plus vif et en reniflant, allègres, l’air de la patrie !… Mon excursion, à l’est de Paris, m’a conduite plus loin que je ne me le proposais : mais pour un amoureux de la France, tout autant que pour un cœur français, la France au-delà des Vosges est encore la France ! »

Miss Betham Edwards n’eût-elle pas tout le talent dont chacun de ses nombreux romans d’une belle sincérité, d’un honnête et vigoureux réalisme donne la preuve que nous devrions apprécier chez elle des sympathies qui la font nôtre à proprement parler.

Ses études comparatives entre sa vraie patrie cl sa patrie d’adoption prennent toute sorte de formes, parfois d’une utilité très pratique. Une des dernières, accueillies avec beaucoup d’intérêt en Angleterre et reproduite aussitôt dans les principales revues d’Amérique est intitulée : Du coût de la vie en France. Miss Edwards s’est servie, pour déterminer nos dépenses, de renseignemens précis fournis par des maîtresses de maison françaises, autant que de son expérience personnelle. En résumé, il ressort du parallèle que les salaires sont moindres en France et les dépenses environ d’un tiers plus lourdes. Au lieu de 500 ou 600 livres sterling (de 12 à 15 000 francs) que reçoit un fonctionnaire anglais quelconque, le fonctionnaire français est payé 10 000 francs à peine. Les taxes semblent au premier aspect plus considérables dans le pays où les églises et les hôpitaux sont supportés par des contributions particulières, où existe l’impôt sur le revenu, où la part clos pauvres qui permet d’interdire rigoureusement la mendicité est prélevée dans une grosse proportion sur le train de maison des gens riches ; mais aucune denrée n’est taxée en Angleterre, tandis que, chez nous, il en est autrement pour la nourriture, le vêtement, pour tout ou presque