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treille ensoleillée devant laquelle une vasque antique retient un oranger. À moins encore qu’une promenade en voiture découverte ne vous emmène sous bois à travers l’intense verdure coupée de rais de lumière qui, en larges taches mobiles, jouent et se brisent sur l’herbe épaisse.

Nous roulons parmi les souvenirs historiques, car les rois fréquentèrent beaucoup Ascot, en grand apparat, pour les courses, ou de façon plus discrète, comme Charles il par exemple, qui venait y chercher Nell Gwynn. Nous passons devant Frognel où elle l’attendait.

J’avoue mon indulgence pour cette maîtresse de roi qui savait à peine lire et ne parvenait à signer une lettre de change qu’en se faisant guider la main. Elle est la seule des beautés de ce harem royal où figurèrent tant de grandes dames qui laissa dans la mémoire du peuple le souvenir de sa bonté. Les autres ne firent que s’enrichir ou gaspiller les dons royaux ; elle, la petite marchande d’oranges, fonda un hôpital qui, jusqu’à nos jours, perpétue ses bienfaits. Et puis, allez la voir à la Galerie nationale des portraits, et vous aurez compris ; ses nobles rivales la font valoir, toutes somptueusement débraillées, la blanche et indolente Middleton en bergère, la Castlemain, gorge au vent, avec ses tresses dénouées de bacchante, toutes sans plus d’esprit au demeurant que la merveilleuse Hamilton, sauf cette duchesse de Portsmouth dont la physionomie froide et rusée ne dit d’ailleurs rien qui vaille, tandis qu’elle étend la main vers les richesses de l’Océan que lui présente un petit nègre dans une conque de nacre. Le Roi au milieu d’elles porte sur sa longue figure pâle aux grands plis flasques, la lassitude du plaisir. On conçoit sa prédilection pour Nell Gwynn, à laquelle il revenait toujours. Cette plébéienne a pour elle sa franche et mutine gaillardise, l’insouciance hardie de sa petite tête naturellement frisée aux grands yeux limpides. La joie de vivre relevée d’un grain de gaminerie émane de toute sa printanière personne. Elle dut être amusante. La chronique insiste sur sa grossièreté. Grossière, soit ; mais tout était grossier d’une façon ou d’une autre à la cour de Charles II ; les grandes dames de ce temps-là ont l’air de filles. Nell Gwynn en était une tout de bon et elle eut le mérite de mourir jeune. Son ombre flotte légère dans le demi-jour verdissant de ces bois de féerie qui entendit son rire et qui la vit passer, telle que Lely l’a peinte, irrésistible…