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réussir toujours, s’efforce de les arrêter. A Rome, on leur laissait une pleine liberté. Sous le nom d’altercatio ou d’interrogatio, elles avaient pris une place régulière, officielle, dans les combats de la parole ; tantôt elles précédaient le discours suivi (oratio perpetua), tantôt elles lui succédaient ; il y avait même des cas où elles étaient tout le discours, par exemple dans les affaires criminelles, où le témoin était livré à l’avocat de l’adversaire, qui l’embarrassait de questions insidieuses, le troublait, le raillait, pour le rendre ridicule ou suspect. Les lettres de Cicéron montrent que, dans le Sénat lui-même, malgré la gravité qu’on attribue d’ordinaire à cette auguste assemblée, ces combats corps à corps, qui n’existaient pas à l’origine, étaient devenus très fréquens. Avec la vivacité de son esprit et sa verve mordante, il devait y être incomparable.

Mais quand plus tard il donnait son discours au public, il comprenait bien que l’altercatio n’y pouvait guère avoir de place. « Ces dialogues passionnés, disait-il, ces vives ripostes, n’ont toute leur force et tout leur agrément que quand on assiste au débat et qu’on participe à la chaleur de la discussion ; » et il les fondait habilement dans le discours. C’est ce qu’il a fait pour la première Catilinaire. L’altercatio en a disparu, et pourtant il semble qu’en cherchant bien, on en retrouve quelque trace. L’ardeur de la lutte y est restée, et même dans ces phrases qui se suivent, le dialogue parfois se devine. L’orateur presse son adversaire d’interrogations passionnées : « Te souviens-tu ?… peux-tu nier ?… » Il note ses réponses, quand il en fait : « Tu me dis : Fais une proposition au Sénat. » Il triomphe encore plus de son silence : « Pourquoi donc te taire ? essaie de me contredire ; je te convaincrai de mensonge. » Par momens, il paraît comme enivré de son succès, et sa joie se trahit par cet air d’insolence d’un homme qui brandirait bravement une épée contre l’ennemi qui se dérobe : non feram, non patiar, non sinam ! Si dans cette partie même, où il ne pouvait pas reproduire exactement le discours primitif, il tient encore à s’en rapprocher, s’il veut au moins de quelque manière en rappeler le souvenir, pourquoi s’en éloignerait-il ailleurs sans nécessité ? il n’avait aucune raison de refaire ce qui avait si parfaitement réussi et obtenu tout le résultat qu’il souhaitait. Il est donc naturel qu’il ait fidèlement reproduit ses paroles, et, pour les reproduire, il lui suffisait de consulter les notes que ses secrétaires avaient prises soit pendant