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murs, un aïeul en habit rouge, quelques esquisses de maîtres, un beau portrait d’enfant de l’école française du XVIIIe siècle qu’on me dit être celui du dauphin Louis XVII, un éventail peint par Watts, pour Annie Thackeray. Watts peintre d’éventail ! On croit voir les mains du géant s’ingénier à la création futile d’un joujou. Ce sont des fantaisies pseudo-japonaises auxquelles s’entremêlent bizarrement des paroles de Conan Doyle.

Cette initiation à la vie intime de Thackeray a été continuée pour moi par sa petite-fille dont il eût pu s’inspirer pour tracer le type idéal de la jeune fille anglaise. On n’admire bien que chez elle, dans l’atmosphère où elle a fleuri, cette vierge libre et réservée, fière et timide, enthousiaste et maîtresse d’elle-même, the english girl, trop peu connue en France, sauf au point de vue des sports.

J’en ai vu dernièrement deux exemplaires dont la rare beauté physique s’embellissait d’une simplicité plus rare encore. L’une, servant le thé dans le salon clair de Saint-George Square, au milieu des reliques de l’aïeul illustre, l’autre, étudiante au collège de Newnham, qui se rattache à l’université de Cambridge, et passée de là dans le laboratoire Faraday où elle est admise, seule et première chimiste de son sexe. Où la conduiront ses hautes études scientifiques entreprises par pur amour de la science ? Elle suivra sa carrière à moins que le mariage n’intervienne. Conçoit-on un meilleur état d’âme ? Elle pourra devenir la plus saine, la plus raisonnable, la plus éclairée des mères de famille ; le célibat, si elle le garde, sera chez elle plein de grâce, et le genre de féminisme qu’elle incarne, si absolument dépourvu de prétentions, obtiendrait partout les suffrages des hommes, voire même celui des femmes.


Oui, la vie estivale de Londres vous réserve des momens que tout le fracas de la « saison » ne vous donnerait pas, mais ce que je lui trouve surtout de délicieux, c’est qu’elle se passe en grande partie à la campagne. Il fait trop chaud pour voyager ; les châteaux, les cottages retiennent encore leurs heureux possesseurs et les Anglais, de quelque condition qu’ils soient, ont la passion d’héberger leurs amis. Lettres et télégrammes m’arrivent coup sur coup, réclamant ma visite ici ou là. Je commence à connaître les principales gares, — il n’y en a pas moins de quatorze — et chacun sait que tout s’y arrange de manière à simplifier