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Cicéron l’écrivit après l’avoir prononcé, et nous tenons de Cicéron lui-même que c’est seulement trois ans après qu’il le publia. Ainsi le premier, le véritable discours avait été improvisé. Dans l’éloquence politique des Romains, l’improvisation était la règle. Rome étant un pays libre, la parole y a toujours joui d’un grand crédit, et un homme qui ne savait pas parler n’y pouvait arriver à rien. Mais parler, c’était proprement agir[1], et la parole n’avait de prix qu’autant qu’elle pouvait amener un résultat. Le résultat obtenu et l’affaire finie, le discours qui avait produit son effet ne conservait aucune raison d’être, et, dans les premiers temps surtout, on n’y songeait plus. C’est un peu plus tard, quand la cité se fut étendue au-delà des premières limites, qu’il y eut des Romains dans les municipes et les colonies des environs, et qu’il fut utile de les mettre au courant de ce qui se passait à Rome, qu’on dut avoir l’idée d’y répandre les discours qui avaient obtenu quelque succès au Forum. On les écrivit donc, mais après qu’ils avaient été prononcés, et dans leur forme primitive, en les modifiant surtout pour les abréger et les réduire à l’essentiel. Quant à écrire d’avance un plaidoyer, un discours politique, pour le lire ou le réciter, c’était si peu l’usage qu’on remarqua, comme une chose singulière, qu’Hortensius l’eût fait lorsqu’il défendit Messala. Cicéron s’est donc conduit ici comme à son ordinaire, il a improvisé d’abord son discours, et ne l’a écrit que pour le donner au public. Si cette fois il a tardé trois ans avant de le publier, il faut l’attribuer sans doute aux événemens qui ont suivi et qui lui laissèrent peu de liberté. Qu’il ne se soit pas fait beaucoup de scrupules de le modifier en l’écrivant, on n’en peut guère douter ; c’était son habitude. L’important serait de savoir quelle est la nature de ces modifications, et si elles allaient jusqu’à altérer d’une manière grave la forme ou le fond de l’ancien discours.

De ce discours primitif, il ne reste rien ; et pourtant nous avons la chance de pouvoir nous en faire quelque idée. Le lendemain du jour où s’était tenue la séance du Sénat, Cicéron crut devoir raconter au peuple ce qu’on y avait fait, et voici, d’après ce récit, comment les choses ont dû se passer. Au début, au lieu de proposer un ordre du jour, comme c’était l’usage, et de demander à chaque sénateur son opinion, Cicéron crut devoir user

  1. De là sans doute l’expression agere causam, pour signifier plaider un procès, et le mot d’actio pour dire un plaidoyer.