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point présenter devant lui, mais je sais aussi qu’il se doit encore plus à l’Estat, et si l’on prenoit la voix de ses sujets, il ne s’exposeroit pas ainsi sans nécessité à un péril dont Dieu le préservera j’espère, mais qui est réel. » Après avoir suggéré quelques précautions que le Roi pourrait prendre, et insisté de nouveau, tant en son nom qu’au nom du Duc du Maine, pour qu’il ne voie pas Monseigneur, il continue : « Après un objet public, je suis honteux d’en venir à un particulier : c’est Madame la Duchesse de Bourgogne. Pensez, je vous prie, Madame, tout ce que je pense et dois penser, l’aimant comme je l’aime, si je la vois aller à Meudon, et soyés persuadée qu’il n’y a que la seule satisfaction du Roy qui l’emporte sur mon inquiétude. »

À cette lettre le Duc de Bourgogne en joignait en effet une pour le Roi. La Duchesse de Bourgogne écrivait de son côté à Mme de Maintenon : « Je suis ici hors de moy, beaucoup plus encore pour le Roy et vous que pour Monseigneur, car j’ai dans la teste qu’il s’en tirera heureusement… Je suis ravie, ma chère tante, que vous veniez dîner icy, car je serai à l’aise avec vous Nous verrons ensemble comment je ferai pour voir le Roy, car, pour vous dire la vérité, je n’ai pas grande envie d’entrer dans la maison. Je fais les mesmes réflexions pour moy que pour vous, et quand j’aurai gagné quelque mal, personne ne m’en saura gré ; au contraire, on m’en blâmera. Il faut pourtant que je voye le Roy ; sans cela Versailles m’est insupportable. Vous ne sauriez vous figurer l’air qu’il a. Il faut dire toute la vérité : les lieux où le Roy n’est pas sont inanimés[1]. »

Le Roi ne fit pas venir la Duchesse de Bourgogne à Meudon. Il en interdit au contraire le séjour à tous les personnages de la Cour qui n’avaient pas eu la petite vérole, sauf à ses ministres qu’il faisait venir chaque matin pour tenir conseil. Pendant ce temps, Mlle Choin était reléguée dans un grenier, et le Père Le Tellier, qu’on voulait avoir sous la main, dans un autre, tous deux cachés, incognito, servis seuls dans leur chambre, et traités de même, avec cette différence que Mlle Choin ne voyait que Monseigneur et que le Père Le Tellier ne voyait que le Roi.

Le 13, on crut le malade mieux. Les harengères de Paris auprès desquelles il était populaire comme auprès du menu peuple, s’étaient transportées à Meudon pour avoir de ses

  1. Archives du duc de Lesparre.