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hommes pour qu’elle pût changer de chemise, il s’étoit caché derrière un paravent, et il n’avoit pu s’empêcher de lever la tête au-dessus pour faire voir à cette princesse l’excès de son amour et celui de sa témérité. La Dauphine cria, par un premier mouvement. Richelieu fut aperçu de toutes les femmes ; elles jurèrent toutes de lui garder le secret, et elles le dirent, sans qu’elles eussent envie de lui nuire, mais craignant d’être prévenues et chacune d’elles voulant être la première à apprendre ce petit événement. Le Roi le sut et crut devoir punir cette hardiesse pour les suites qu’elle pouvoit avoir. Il l’envoya à la Bastille[1]. »

Telle est la double version de Richelieu ; mais, comme il ne laissait pas d’être assez fat, il pourrait bien ici avoir exagéré un peu les choses. Sa témérité ne paraît pas avoir été la seule cause de la disgrâce où il tomba. Après s’être engoué de lui à la Cour, on était devenu plus sévère. « On va vous envoyer notre petit prodige qui n’est plus prodigieux, écrivait encore Mme de Maintenon au duc de Noailles, qui, pour lors, commandait en Espagne. On donne autant sur lui présentement qu’on le louoit au dernier voyage de Marly. Je ne sais pourtant rien de positif que d’avoir donné dans un panneau qu’on lui a tendu sur le jeu. » Et, toujours indulgente elle ne pouvait s’empêcher de dire encore : « C’est la plus aimable poupée qu’on puisse voir[2]. »

Le duc de Richelieu son père trouva cependant que ce n’était pas assez d’envoyer cette poupée à l’armée, et il vint à Versailles solliciter du Roi des mesures plus sévères. Sur le conseil même de Mme de Maintenon, du moins à en croire Soulavie, il obtint contre son fils une de ces lettres de cachet qui étaient, dans les mœurs d’alors, l’équivalent de ces mesures de détention par voie de correction paternelle qu’aux termes de notre code les pères de famille sont en droit de solliciter du président du tribunal. La lettre de cachet en vertu de laquelle il fut incarcéré, le 13 avril 1711, et qui est contresignée. « Phelypeaux, » porte en effet cette mention : « pour correction[3]. » Ce serait en dehors de notre sujet que de le suivre et de raconter les tentatives dont à la Bastille il fut l’objet de la part de l’abbé Remy et de la

  1. Anecdotes sur Richelieu, par C. de Rulhière, précédées d’une notice, par Eugène Asse, p. 2.
  2. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. II, p. 274.
  3. Archives de l’Arsenal, n° 2125 du catalogue, dossier n° 10598.