Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

songer qu’à jouir des bienfaits du repos, à nous enrichir, et à n’avoir plus d’autre ennemi que cette tuberculose, produit des vices de la paix, et qui, dans une année, fait plus de victimes que plusieurs années de guerre. Aucun idéal sous aucune forme ! Comment demander à un peuple ainsi endoctriné d’avoir l’esprit militaire et de s’estimer heureux d’être enfermé dans des casernes ? Pour défendre son indépendance ? Mais il ne voulait pas la croire menacée. D’ailleurs, une crainte vague, sans réalité tangible, n’allume pas dans des âmes jouisseuses la passion des servitudes et des sacrifices de la vie militaire.


XIV

La discussion sur l’armée recommença à propos du budget de la guerre au Corps législatif. Les crédits demandés furent contestés à la fois par des amendemens de la Droite et par des amendemens de la Gaucho. L’Empereur ne se préoccupait point des amendemens de l’opposition ; il savait d’avance qu’ils ne seraient pas admis. Il était au contraire très soucieux des propositions de la majorité qui, plus modestes, n’étaient pas sans espoir de succès. De Fontainebleau, où il suivait attentivement ces débats, il envoyait ses encouragemens de résistance à son ministre. Le maréchal Niel se conformait à ces instructions et luttait sans fléchir contre l’opposition et contre la majorité, toutefois sur un ton très différent. Ses réponses à l’opposition étaient lestes et confiantes. Tout autre était son ton lorsqu’il s’adressait à la majorité. On y sentait de la tristesse, de l’amertume, parfois comme une nuance de découragement. « Il faut satisfaire l’armée, elle a besoin d’avoir confiance en elle-même. Si vous me faites exagérer le nombre des hommes en congé, nous aurons des régimens sans effectifs suffi sans, les officiers découragés, les sergens et les caporaux partis. Le système nouveau paraîtra détestable, vous l’aurez fait échouer alors qu’il doit triompher. — Si je connaissais un ministre plus heureux et plus habile que moi, j’aurais déjà supplié l’Empereur de le mettre à ma place. Vous me rendez la chose impossible ; je ne puis arriver à remplir la tâche que la confiance de l’Empereur m’a imposée. Vous allez me faire trébucher à une économie presque irréalisable. — Je n’ai pas la prétention d’être l’homme nécessaire, les hommes ne manquent pas dans notre pays, mais, quand j’ai