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est-ce que c’est donc une chose si difficile que d’organiser la garde nationale mobile ? Mais vous vous défiez beaucoup trop de votre pays, beaucoup plus qu’il ne le faudrait. Le principe sur lequel ont été basées les lois de 1831 et de 1851 a été celui-ci : c’est qu’au moment de la guerre, grâce à la nature de notre pays, il s’allume sur-le-champ une vive ardeur dans tous les cœurs, ardeur que j’ai trouvée en 1840, quand la guerre était peu probable, — et je suis convaincu qu’en se servant de cette disposition sans l’avoir fatiguée par des exercices puérils et inutiles, vous trouveriez un zèle dont vous pourriez tirer grand parti. Au commencement de la Révolution française, c’est-à-dire en 1793, puis en 1812 et en 1813, on a trouvé cet esprit ; on l’a retrouvé aussi en 1815, et je suis certain qu’on pourrait faire encore, si les circonstances redevenaient les mêmes, ce qu’on a fait alors. Mais c’est un feu qu’il ne faut pas user d’avance. Ce qui m’afflige, ce qui me désole, c’est que pour organiser une garde nationale mobile qui ne sera pas la force essentielle, qui ne sera qu’une force à laquelle vous pourriez suppléer par une garde nationale organisée comme celle de 1831 et de 1851, vous ferez des dépenses que vous pourriez porter bien plus utilement sur l’armée active, cette armée qu’il importe de présenter la première à l’ennemi, car la première bataille gagnée décide presque toujours du sort d’une guerre. La garde nationale mobile ne serait pas seulement une vexation inutile pour les citoyens en temps de paix ; elle affaiblirait l’armée parce qu’elle serait une cause de lourdes dépenses, non de 10, mais de 20, de 30 millions et plus. Ne serait-il pas plus prévoyant d’appliquer cette somme à l’armée active pour laquelle il faudrait dépenser plus de 40 ou 50 millions de plus par an ? »

Ce discours contenait d’excellentes vérités contre cette armée de Jules Simon « qui ne doit jamais passer la frontière, » contre l’exagération de ces immenses effectifs sur le papier, qu’on ne retrouve plus sur les champs de bataille, sur la nécessité de fortifier avant tout l’armée active de première ligne dont les revers ou les succès ont souvent une influence décisive sur toute la campagne ; sur la confiance que devait nous inspirer notre admirable armée. Mais que dire de cette assertion, bonne tout au plus dans la bouche d’un Garnier-Pagès, qu’au moment du péril, le patriotisme improviserait des soldats capables de lutter contre des armées aguerries ?