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féconde de l’enthousiasme. Oui, il n’y a qu’une cause qui rende une armée invincible, et malheureusement cette cause n’est pas celle que nous défendons en ce moment, c’est la liberté. » Sa conclusion était celle de Garnier-Pagès. Souhaiter la défaite, n’est-ce pas être prêt à y travailler ?

Niel réfuta de haut Garnier-Pagès et Jules Simon : « Je ne pense pas, dit-il, qu’on puisse donner au pays un conseil plus fatal que celui d’assurer un jour sa sécurité par la levée en masse. La levée en masse, a dit le maréchal Gouvion Saint-Cyr, n’a servi qu’à l’ennemi. Ces hommes, qu’on nous envoyait sans aucune organisation, épuisaient les pays où ils passaient, se jetaient sur notre armée et y semaient l’indiscipline. C’est un grand malheur d’avoir besoin de la levée en masse ; plus grand est celui de s’en servir. » Il ajouta : « Vous ne voulez pas que les soldats aient l’esprit militaire ? Mais alors, ils n’auront pas non plus de discipline. Et vous voulez, dans de semblables conditions, exposer la France à marcher un jour contre une autre nation qui est habilement organisée et de longue main, où les exercices sont multipliés, chez laquelle l’esprit militaire domine à un point que nous n’atteindrons peut-être jamais, où la hiérarchie du grade s’allie à la hiérarchie de la naissance, sans que la population en soit offensée ! Ah ! vous n’y pensez pas, ou bien si vous voulez appliquer à la population française la levée en masse, il faut l’organiser complètement, imiter la Prusse ! Alors, mais seulement alors, les deux nations pourront, sans désavantage pour l’une d’elles, se montrer face à face sur ce terrain si difficile des batailles. »


XII

Thiers s’était prononcé indirectement sur certaines dispositions du projet : il avait félicité la Commission d’avoir aboli l’exonération, quoiqu’il eût été, avec Bugeaud et Lamoricière, un de ceux qui en avaient donné l’idée ; il avait voté, avec les membres indépendans, l’amendement sur les huit ans de service. Mais un discours d’ensemble qu’où supposait inévitable était attendu avec impatience. Il ne se souciait pas de le prononcer : il ne pouvait approuver les erreurs de la Gauche et il ne tenait pas à compromettre sa popularité en les combattant. Tant que la Chambre eut l’espérance de l’entendre, elle prolongea