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respecter la France, sa sécurité et son influence dans le monde. Un devoir impérieux nous est imposé, c’est de nous prémunir contre toutes les éventualités. Plus on nous croira prêts pour la guerre, mieux nous assurerons la paix. Je vous le demande en grâce ; soyons prêts la veille d’un Sadowa, non le lendemain. »

L’opposition républicaine ne se laissa pas toucher par ces adjurations. Déjà dans les discussions des interpellations et du budget, elle avait incidemment exhalé ses colères. « Quoi ! c’est après quinze ans de règne, lorsque la dette publique s’est accrue de huit milliards, avait dit Jules Favre ; c’est après que nous avons été condamnés aux guerres que vous savez, qu’on vient décréter que la France entière sera disciplinée, et qu’au lieu d’être un atelier, elle ne sera plus qu’une caserne[1]. » Jules Simon avait parlé de la préoccupation poignante que la nouvelle loi produisait dans le pays, et accusé le gouvernement de faire de l’armement à outrance, après avoir fait de la finance à outrance. Tous ces thèmes furent repris, amplifiés dans la discussion, et ce fut à qui déclamerait le plus éloquemment contre les armées permanentes, « qui créent au milieu de nous une race d’hommes séparée du reste de leurs concitoyens, » et maudirait la paix armée, « pire, avec ses énervemens et ses sacrifices, que la guerre, car elle ne finit pas et elle ne donne pas la seule chose qui puisse consoler des batailles, cette énergie, cette virilité des peuples qui se retrempent dans le sang versé. » C’est à qui chercherait les expressions les plus terribles pour qualifier la loi. Ce n’était pas seulement une loi dure, mais une loi impitoyable, anti-démocratique, anti-égalitaire, une aggravation de service ; c’est la carte à payer du gouvernement personnel de dix-huit ans, un accroissement de la toute-puissance impériale parce que le pouvoir absolu que l’Empereur exerce pour faire la paix ou la guerre pèsera sur un plus grand nombre de soldats qu’aujourd’hui ; ce qu’elle donne de force militaire au drapeau, en augmentant le nombre des hommes, elle l’enlève au pays en diminuant la force de production ; l’adoption d’un tel projet serait un grand malheur : elle ramènerait aux pratiques

  1. 18 mars 1867. — Il est de légende, que Niel aurait répondu : « Vous ne voulez pas faire de la France une caserne, craignez d’en faire un cimetière ! » J’étais présent et je n’ai pas entendu ce propos. Je ne l’ai pas non plus retrouvé au Moniteur officiel et aucun de ceux qui l’ont cité n’a pu m’indiquer où il l’avait pris.