Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/746

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en eux ? Tant mieux, car malheur aux armées qui doutent d’elles-mêmes, elles sont défaites avant d’avoir combattu. Un zouave, frappé en Crimée de sept coups de baïonnette, disait : « Aucun Russe ne peut se vanter d’en avoir reçu autant, car il ne faut qu’un coup de baïonnette française pour tuer. » Voilà comment sentent les soldats qui sont invincibles. Est-ce à dire que nous ayons la petitesse, funeste à la guerre plus qu’ailleurs, de méconnaître le mérite de nos ennemis ? Nous péchons plutôt par l’excès contraire. Un écrivain militaire qui ne nous a jamais rendu que la justice impossible à refuser sans s’ôter à soi-même tout crédit, le colonel Rüstow, a écrit dans son Histoire de la guerre de 1866 : « Un adversaire très décidé de l’Autriche nous disait peu de temps avant la guerre actuelle : D’où provient, au fond, la réputation de l’armée autrichienne ? Des Français, uniquement des Français. Dès que ceux-ci ont battu un ennemi quelconque, ils ont l’habitude de l’élever jusqu’au ciel… Déjà Napoléon Ier leur a donné l’exemple de ne jamais mépriser ni dénigrer, même avant la guerre, l’ennemi avec lequel on peut avoir affaire. Les Français d’aujourd’hui ont suivi consciencieusement cette règle et l’on pourrait dire qu’ils l’ont observée avec cette sorte de grandeur d’âme qui ne peut être produite que par la double culture de l’esprit et du cœur. »

Trochu aurait eu pleinement raison s’il avait simplement soutenu qu’augmenter l’effectif n’était pas la seule réforme urgente ; qu’il était non moins indispensable de réformer l’organisation intérieure de l’armée, de décentraliser, de s’appliquer à mieux préparer le passage du pied de paix au pied de guerre, de simplifier nos règlemens routiniers. Il cessait d’être dans le vrai en tenant que ces diverses réformes dispensaient d’un accroissement de l’effectif, en chicanant deux années de service à la réserve, dont la solidité était absolument nécessaire ; enfin il tombait dans la déclamation de l’ignorance en prétendant qu’un appel en masse serait une mesure de salut au jour de danger. Pouvait-il ignorer que l’appel en masse est une fantasmagorie qui ajoute les malheurs de la révolution à ceux de la guerre ? Ces erreurs furent d’autant plus regrettables que, Trochu étant alors notre oracle à tous, elles devinrent les nôtres et qu’on les retrouva dans la plupart des discours prononcés sur la loi militaire.

L’écrit fut porté aux nues par le public politique de l’opposition, par les militaires aigris, les agités, les hommes de