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sa carrière en Afrique, le général Trochu avait été protégé par le maréchal Bugeaud ; il avait appris de lui beaucoup de parties de l’art militaire, et, en outre, ce qui, parmi nos généraux, était particulier au maréchal, le goût de disserter infatigablement. Je ne crois pas qu’il ait existé beaucoup d’hommes doués d’une telle faconde. Il parlait sans cesse, il parlait partout, avec force, avec éclat, avec une éloquence mordante et incisive, mais avec une effroyable abondance, au point que toute action finit par se réduire pour lui à parler. Religieux, probe, instruit, vaillant, exemplaire dans sa vie privée, il avait l’essentiel de ce qui pouvait lui constituer une figure militaire à la Catinat, et il s’acheminait déjà à n’être qu’un Marmont. Tout, dans sa petite personne, raide, guindée, sans laisser aller, comme dans son visage où brillaient sous de sombres sourcils deux yeux allumés, était ténébreux et tendu. On l’eût dit travaillé d’un tourment intérieur qu’il épanchait en dénigremens. Aussi était-il fort caressé dans les salons de l’opposition. On l’y cajolait, on l’y admirait, on recueillait ses sentences comme des oracles, qu’on colportait ensuite pour la plus grande joie des conjurés contre l’Empire. A la nouvelle marque de confiance que lui avait donnée l’Empereur en l’appelant dans la Haute commission militaire, il avait répondu en racontant partout que la discussion était pitoyable, et lui faisait l’effet d’une dislocation : « L’Empereur ne les avait pas réunis pour les consulter, mais pour les faire signer. Il est l’indécision dans l’entêtement. »