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française, toujours dans un intérêt dynastique, au profit de son ambition et de sa vanité. Il est vrai que s’il avait négligé d’accroître nos forces, l’opposition et le public lui auraient reproché plus violemment encore de ne songer qu’à ne pas compromettre sa popularité et de sacrifier toujours l’intérêt national à l’intérêt dynastique. On s’acharna à la disposition qui, en incorporant la totalité de la classe, rendait sans objet le vote annuel du contingent par la Chambre, supprimait les bons numéros. « Il n’y aura plus de bons numéros, » fut le mot qui, en un éclair, se répandit partout : journaux, revues, brochures faisaient mille variations alentour et le rabâchaient jusqu’à le faire parvenir aux couches les plus profondes du suffrage universel. Deux publications surtout produisirent grand effet, la brochure du général Changarnier : Un mot sur le projet d’organisation militaire, et le livre du général Trochu sans nom d’auteur : L’armée française en 1867.


Le général Changarnier, devenu l’obstacle de celui dont il avait d’abord été l’espérance, avait été arrêté au Coup d’État, puis exilé. Rentré après l’amnistie, le cœur bouillant des colères amassées et du désespoir de rester étranger à tant de brillans combats de sa chère armée, il haletait après la ruine de cet Empire odieux, qui, en lui fermant sitôt les champs de bataille, avait privé sa carrière de son couronnement glorieux. Thiers, étant de tous les hommes d’État celui qui lui parut s’employer le mieux à l’œuvre de vengeance, il s’était attaché à lui avec passion. Devenu un de ses auditeurs enthousiastes, on l’aurait exclu de l’enceinte législative, n’eût été le respect qu’il inspirait, tant il manifestait bruyamment son approbation aux paroles de l’orateur de sa haine. Son âme guerrière avait tressailli au bruit du canon de Sadowa ; il s’était rangé parmi ceux dont la conviction était « que sans avoir mis un seul bataillon en mouvement, la France avait subi un des plus grands désastres de son histoire et qu’elle devrait reconquérir les armes à la main son importance militaire ou s’affaisser. » Sauf la réduction du service à cinq ans, « qui suffit à l’instruction et à la parfaite cohésion de toutes les parties d’une armée, » il blâmait tout dans le projet du gouvernement. Son vice capital, selon lui, était de rechercher trop le nombre. « On parle, disait-il avec dédain, de 300 000 combattans, fusil ou sabre en main, canons attelés ! Nous sommes frappés d’étonnement. Malheur à la France, si, brisant la chaîne