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guerre, enlèverait à l’armée régulière des recrues qui seraient bien plus utiles dans les dépôts qu’immatriculées dans les rangs d’un corps secondaire mal instruit. L’institution, selon eux, n’avait aucun avenir. L’Empereur et Niel ne la défendirent que comme un pis aller, puisqu’ils ne pouvaient obtenir mieux, et le projet fut adopté. Il restait à décider si l’on maintiendrait ou si l’on supprimerait l’exonération. Trochu l’attaqua vivement : « Elle donnait des sacs d’écus quand on avait besoin d’hommes et, au détriment des caporaux et des soldats jeunes, encombrait les cadres de vieux sous-officiers peu propres à faire campagne. » L’exonération trouva cependant des défenseurs dans les généraux Allard et Lebœuf : « Elle avait produit d’excellens résultats ; avant la loi de 1855, la proportion des hommes comptant plus de sept ans de service n’était que de 7 pour 100 ; elle s’était élevée à 33 pour 100 ; les remplaçons, autrefois la portion la plus défectueuse de l’armée, étaient devenus ce qu’elle avait de plus recommandable. Une amélioration sanitaire avait accompagné l’accroissement de la valeur morale : la mortalité était descendue de 48 pour 100 à l’intérieur, de 82 pour 100 en Algérie. Il fallait y poser des limites, la réduire, la suspendre même parfois, restreindre le nombre des seconds rengagemens de sous-officiers : le remplacement, sans une loi qui en empêchât le trafic, était une source certaine de corruption ; il était bien plus aisé d’obvier aux défauts que l’exonération, comme toute institution, contenait. » Les civils se rangèrent à cette opinion, car l’exonération avait trouvé grande faveur dans les familles qui se jugeaient heureuses de se débarrasser, moyennant le versement d’une somme d’argent, des soucis, des risques et des responsabilités du remplacement libre. Et l’exonération fut maintenue.


VI

Ces résolutions furent insérées au Moniteur. Le maréchal Randon s’étant montré l’adversaire de la garde mobile, son adoption entraînait un changement de ministre. L’Empereur lui écrivit qu’il le remplaçait par Niel, avec lequel il se trouvait déjà d’accord. Le maréchal Niel était de haute taille, écuyer consommé, tireur habile. Ce qui frappait d’abord en lui, c’était la force de la réflexion, l’opiniâtreté de la volonté : force contenue,