Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande autrefois parmi les lettrés, nous produit-elle aujourd’hui moins d’effet ? C’est qu’en réalité, ce n’est pas Catilina lui-même que nous entendons, mais Salluste, et qu’il s’exprime en orateur d’école plus qu’en conspirateur. Il n’y a plus rien à dire sur cette habitude des historiens de l’antiquité de prêter à leurs personnages des discours de leur invention. Nous la condamnons aujourd’hui, mais les gens de leur époque leur en faisaient de grands complimens, et il est bien probable que les histoires de Salluste étaient surtout lues à cause des discours qu’elles contenaient. Celui de Catilina, qui est l’un des plus renommés, peut nous faire comprendre de quelle façon ils étaient ordinairement composés. Les écrivains, qui n’étaient que de purs rhéteurs, se contentaient de fabriquer des pièces d’éloquence pour faire admirer leur talent ; les autres, comme Salluste et Tacite, cherchent à les accommoder à la situation véritable ; ils font dire à celui qui parle, sinon ce qu’il a dit réellement, au moins ce qu’il a dû dire, en sorte que ces discours ne sont pas sans utilité pour les historiens de nos jours et qu’ils peuvent être consultés avec profit, pourvu qu’ils le soient avec précaution. C’est ce que nous montre fort bien celui de Catilina. Il s’y trouve certainement de la rhétorique, c’est-à-dire une certaine faconde remplacer le détail exact par des généralités et d’avoir moins de souci de la vérité précise que de la vraisemblance. Il arrive, par exemple, qu’à un moment, l’orateur paraît oublier le genre particulier de griefs dont se plaignent ceux qui l’écoutent, et, comme d’ordinaire on ne se révolte que pour échapper à une oppression, il les excite, en phrases retentissantes, à reconquérir leur liberté : En illa, illa, quam sæpe optastis libertas ! mais il ne s’agissait pas pour eux de briser leurs fers : ni Lentulus, ni Autronius, qui avaient été consuls, ni les autres n’étaient esclaves. Dans l’état de désorganisation sociale où l’on se trouvait, la liberté était ce qui leur manquait le moins ; ils avaient besoin l’autre chose. On le voit bien, du reste, dans le discours lui-même, tel qu’il est, si l’on néglige les formes oratoires, qui sont une nécessité du genre, et qu’on aille droit au fond des choses. Que reproche en réalité Catilina à cette faction d’aristocrates qui détiennent le pouvoir, sinon d’accaparer la fortune publique et de ne pas lui en laisser une part ? S’il leur en veut d’occuper les plus hautes dignités, c’est qu’ils y trouvent l’occasion de s’approprier tout l’argent que les rois, les tétrarques, les nations