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mêmes costumes, mêmes attitudes, ou peu s’en faut ! Comme les Maures d’aujourd’hui, ils portent des « chapeaux » de feuillages entrelacés autour des tempes et ils boivent dans des tasses d’argile aux peintures grossières. On y retrouve la flûte, le tambourin, dont les sons rauques, les aigres mélodies excitent les danses et les disputes. Toute cette vie antique se continue doucement à travers les siècles.

Mais ce qui me frappe surtout dans ces bouquets de couleurs éblouissantes qu’étaient les mosaïques, c’est l’emploi ingénieux du marbre pour la décoration intérieure ou extérieure des édifices. Rien de plus plausible, dans des pays où le marbre est presque commun. On devait être tenté de marier les lignes brillantes, les surfaces miroitantes et polies des albâtres et des porphyres avec les architectures végétales que forment les arbres et les plantes du Midi. Ces arêtes vives des contours, ces verdures luisantes ou sombres comme des bronzes, ces masses profondes, arrondies ou élancées, comme des dômes ou des colonnades, — tout cela encadré par des murs ou des portiques de marbre, — quel ensemble joyeux et grave, éclatant et grandiose, cela devait composer sous la lumière d’argent des plages africaines !

L’Afrique est le pays du marbre, autant que le pays du soleil. Toutes ses provinces en regorgent. Cette Cherchell, où je suis, avait, pour orner ses palais et ses temples, une réserve inépuisable presque à ses portes : les flancs du Chénoa dont la coupole colossale domine ses rivages. La montagne de marbre a donné généreusement sa substance pour embellir l’impériale Césarée. On a eu beau l’éventrer, elle ne semble pas porter la trace des mutilations anciennes. Quand, par les matins de grand calme sur la mer, on passe, en barque, autour de son promontoire, elle étincelle toujours de tous ses trésors, de tous les feux secrets cachés aux veines de ses pierres.

Mais le Chénoa n’est qu’un affleurement de cet immense filon de marbre qui traverse la Proconsulaire, la Numidie et la Maurétanie. Rome s’y est largement approvisionnée : elle n’était pas moins avide des marbres que des blés numides. Beaucoup des colonnes éparses dans les églises de Ravenne, de Cordoue et de Venise sont peut-être sorties du sol africain.

Aujourd’hui encore, notre Algérie moderne offre une profusion de marbres qui provoque l’émerveillement des Barbares du