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serpentines pour la peau bigarrée des monstres marins, des marbres numidiques tachetés de jaune et de blanc pour le pelage des bêtes…

Qu’on ait tiré de ces combinaisons polychromes un art singulièrement original et approprié aux exigences décoratives des riches maisons romaines, cela n’est pas douteux, si l’on considère la vogue insensée dont la mosaïque jouit dans toutes les régions de l’Empire, depuis l’Egypte jusqu’à la Grande-Bretagne, et depuis les bords du Danube jusqu’aux derniers confins de la Maurétanie. A partir de l’époque des Antonins, ce fut une véritable folie, au point que la peinture proprement dite en mourut. Pour ce qui est de l’Afrique, c’est par milliers qu’on a découvert des mosaïques dans les ruines des villes et des villas. Il y en a de toute espèce, à commencer par le simple emblème incrusté au milieu des rinceaux et des arabesques d’un pavé, pour aboutir aux grands tableaux d’ensemble qui embrassent des scènes variées et toute une figuration nombreuse d’animaux et de personnages.

Les sujets sont d’une diversité étonnante. Tantôt l’artiste copie telle œuvre fameuse d’un peintre grec, tantôt il suit sa propre inspiration. La mythologie, la légende, la poésie, la vie familière lui fournissent une matière abondante, sans cesse renouvelée. Et ces sujets sont appropriés à la destination du local ou de la pièce qu’ils décorent. Pour une salle à manger, ce seront, par exemple, — comme ici même, — les péripéties d’une chasse : un cavalier poursuivant un cerf ou un lion ; des pêcheurs, sur une grève, qui tirent le câble d’un filet, ou tout simplement des natures mortes : pyramides de fruits, ou pièces de gibier. Pour les chambres à coucher, les sujets érotiques se présentent en foule, — entre autres, le mythe de Psyché et de l’Amour, rendu populaire en Afrique par le roman d’Apulée. Dans une bibliothèque, des épisodes de l’Enéide, — le combat d’Énée et de Turnus, le sacrifice de Didon, — conviendront davantage. Dans des thermes publics, toutes les divinités d’eau douce ou d’eau salée, toutes les flores et toutes les faunes aquatiques seront mises à contribution. Ce que j’ai vu de plus original peut-être, en ce genre, c’est une mosaïque conservée à Tunis, au Musée Alaoui et qui représente un intérieur de taverne. On dirait un café maure. Les personnages, presque de grandeur naturelle, sont tout semblables à leurs descendans :