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sans autre souci que de tomber avec grâce, entrait décemment, d’un pas mesuré, le geste harmonieux et le sourire aux lèvres dans cette arène, où il laisserait son cadavre ! Ave, Cæsar, moriturus te salutat !… Quand l’homme casqué jetait ces paroles hautaines vers le pulvinar impérial où le maître du monde se tenait immobile parmi les tapis de Babylone, sous les ailes déployées des Victoires, — sûrement, tandis que ces images triomphales passaient devant ses yeux, il voyait en même temps le croc de l’esclave qui allait traîner sa dépouille sur le sable encore tiède de son sang !…

Mais aussi quelle idolâtrie entourait ces histrions qui jouaient avec la mort ! Quels applaudissemens populaires ! Quelle ivresse de gloire !… Ces pauvres gens, sortis de la plus basse plèbe ou venus des pays barbares, de quel amour ils furent aimés ! Qui ne se rappelle l’aventure, — lamentable et touchante, — de cette femme de sénateur, cette Eppia si durement injuriée par Juvénal ?… En esclave soumise, elle avait suivi jusqu’à Alexandrie un gladiateur nommé Sergiolus. Cette femme était de noble extraction ; riche, elle avait grandi « dans la plume profonde des coussins paternels, » et toute petite elle avait dormi dans des berceaux incrustés de pierres rares. Or voici qu’elle a méprisé tout cela pour un homme de l’amphithéâtre ! Elle n’a pas eu peur de la mer, du moment qu’elle était avec lui. Elle a affronté les vagues houleuses de la mer tyrrhénienne, et bien d’autres mers encore ! Elle qui autrefois, pendant ses voyages, était languissante, à côté de son mari, et toujours couchée dans sa cabine, elle mange maintenant avec les matelots, elle court sur le pont, elle s’écorche les mains aux cordages… Est-il beau du moins, ce Sergiolus, pour qui elle mène cette dure vie et pour qui elle a tout quitté ? — C’est un manchot, il a le visage couturé de cicatrices, une bosse sur le nez, un œil chassieux qui suppure… Mais quoi ? Il est gladiateur ! Cela vaut, pour elles toutes, la beauté d’Hyacinthe. Ce n’est pas l’homme, c’est le gladiateur, c’est le fer qu’elles aiment : Ferrum est quod amant !….

Je me suis arrêté, à mi-côte d’une colline plantée d’oliviers, sur l’emplacement d’une villa, où l’on a pratiqué quelques