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pittoresque des mœurs de la Gruyère, des Vaudois Victor Buvelot et Louis Favrat, — un des derniers écrivains en patois du pays romand, — du Genevois de La Cressonnière. Le livret, cette fois-ci, renferma de beaux vers, parmi lesquels ceux de l’Invocation à Gérés, œuvre de Marc-Monnier :


… Mais qui donne, aujourd’hui, l’abondance où nous sommes ?
Voyez ce char traîné par des bœufs lents et sûrs.
Salut, déesse des blés mûrs,
O mère, ô nourrice des hommes !


Toutefois, si le détail poétique s’est incontestablement perfectionné, une flagrante inégalité subsiste entre les divers morceaux, et l’unité manque encore.

Parmi les spectateurs de cette fête, se trouvait Théophile Gautier, qui la décrivit dans un de ses feuilletons du Moniteur universel, avec sa netteté de vision habituelle, son coloris et sa justesse d’expression. La pluie trempait impitoyablement les figurans et les onze mille spectateurs des estrades : l’illustre écrivain, habitué à des spectacles plus confortables, n’en admira pas moins les petites jardinières, dont l’eau du ciel aplatissait les « jupes de gaze semées de bleuets, » le défilé des armaillis et surtout la grande bacchanale, qui lui parut « un vrai chef-d’œuvre chorégraphique : »

« Elle n’est composée, ajoute-t-il, que de faunes, de satyres et de bacchantes, vêtus de peaux de panthères, de pagnes, de feuillages et coiffés de pampres. Ils dansent et bondissent comme s’ils avaient sous les pieds la peau de bouc gonflée des anciennes fêtes de Bacchus ! Rien ne donne plus l’idée d’une fête antique que ce ballet mâle, d’une verve si délirante et d’une gaieté vraiment sauvage. Les danses athéniennes en l’honneur de Gérés et de Bacchus, et qu’on nommait les aloennes, devaient avoir ce caractère[1]. »

Les frais avaient dépassé 144 000 francs. Ils s’élevèrent pour la fête de 1889 jusqu’à 230 000 francs ; mais, cette fois, les recettes augmentèrent aussi, dans des proportions toutes nouvelles, jusqu’à 310 000 francs. Plus de soixante mille personnes étaient accourues à Vevey. Nous retrouvons B. Archinard comme maître de ballet, M. Plümhof comme directeur de musique. La

  1. Les Vacances du Lundi, in-18 ; Paris, 1896, p. 61-86.