Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangers, une Société appelée Abbaye de l’Agriculture ou Confrérie des Vignerons. Cette société était placée sous le patronage de Saint-Urbain, exerçait sa surveillance sur la culture des vignes, — sans en excepter celles de Leurs Excellences, — intervenait dans des affaires très distinctes de son objet principal, célébrait des fêtes qui attiraient de nombreux curieux, et pouvait donc être ou devenir un État dans l’État. À cette époque, les autorités les mieux établies sentaient passer dans l’air des souffles d’orage : on avait sous les yeux l’exemple voisin de Genève, secouée depuis près de trente ans par d’incessantes agitations ; et les actes des peuples sujets, quels qu’ils fussent, causaient à leurs maîtres de sourdes appréhensions. Certes, le pays de Vaud semblait docile. Il supportait sans impatience le joug humiliant, plutôt facile, de l’Ours qui ne montrait ses griffes que lorsqu’il se croyait menacé. Il avait accepté jusqu’à la religion de ses dominateurs, et ne s’en plaignait pas. Il avait laissé sans révolte décapiter dans les plaines de Vidy le noble Davel, héroïque et doux, qui s’était en vain efforcé d’éveiller par son sacrifice le sentiment de l’indépendance dans des cœurs esclaves (1723). Il payait sans trop murmurer des dîmes et des redevances dont le trésor de la République s’engraissait. Et tout cela était rassurant. Mais il faut croire que le seigneur bailli de Watteville était un homme prévoyant : il voulut donc se renseigner de première main sur cette confrérie, et s’adressa à cet effet au Conseil qui la dirigeait. Le Conseil, non peut-être sans quelque inquiétude, s’empressa de nommer une commission pour préparer une réponse circonstanciée. Cette commission rédigea un Mémoire de cinq grandes pages, pour raconter les origines et exposer le but de la Société, et le transmit au seigneur bailli à la date du 14 février[1].

Sur la question d’origine, la Commission avoue qu’elle est embarrassée pour répondre avec exactitude : un incendie a détruit ses archives en 1688[2]. Elle n’en affirme pas moins avec conviction que cette origine « paroît être de la plus haute antiquité et se perdre dans la nuit des temps ; » qu’on peut la rattacher aux fêtes dites aloënnes, que célébraient les païens en l’honneur de Cérès et de Bacchus ; que la confrérie fut ensuite

  1. Manuaux, à cette date (fol. 85-88 du Manual de 1784-1811).
  2. Cf. A. Cerésole, Notes historiques sur la ville de Vevey, in-8o ; Vevey, 1890, p. 61-63.