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la Foi, le Destin, et ici, tant de groupes, tant de figures isolées, et jusqu’aux petites statuettes dans les vitrines, dont beaucoup portent le poids de la misère. Les anciens ne figuraient pas ce geste. Les Niobides, même en tombant, même en ployant, n’ont pas d’affaissement : ils ploient comme le roseau, qui se relève, après que le vent du malheur a passé, aussi droit qu’avant ; sous les flèches, le ressort de leurs corps penchés reste intact. Celui des misérables modernes semble brisé. Les corps des mineurs et des puddleurs de M. Constantin Meunier ont pris le pli de leur courbure. Et même au repos et dans la joie, ils restent courbés. L’homme moderne succombe sous un poids moral. C’est l’Atlante d’un entablement invisible, d’un monument imaginaire, peut-être de la cité meilleure qu’il rêve, ou bien c’est le penseur qui se penche sur le sol et y semble chercher les traces des pieds de ses aïeux. Travail, pensée, douleur, l’y courbent également.


V

Tous ces gestes modernes, qu’on le remarque bien, sont des gestes en flexion, c’est-à-dire des mouvemens d’affaiblissement de la vie. Ils ne montrent pas nécessairement la force de la passion ou le poids de la destinée : ils montrent simplement la faiblesse de l’homme, — non plus que la statique grecque ne témoignait pas qu’il n’eût à supporter ni fatigue, ni destin, ni douleur, mais plutôt qu’il les portait sans faiblir. Le geste en flexion extrême comme chez la Danaïde de M. Rodin ou les pleurans de M. Bartholomé témoigne bien d’un ordre de souffrances modernes ou d’une sympathie moderne à cet ordre de souffrances. Mais la vie moderne prend d’autres formes plastiques, et les expressions trouvées par ces maîtres, bien que très fortes et très émouvantes, ne sont pas les seules par où elle se puisse manifester.

Ce qui est vrai, c’est que le geste moderne, s’il n’est pas toujours en flexion, se produit toujours moins en extension que le geste ancien, et il est plus sobre. Ceci désigne l’homme contemporain. Et c’est vrai, soit qu’il s’agisse de gestes qui sont des mouvemens utiles, et qu’on fait même sans parler, pour réaliser une action, soit qu’il s’agisse des gestes qui sont une espèce d’annexé au langage et qu’on fait devant les autres pour