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centaure est sculptural, le faune et le satyre aussi, et aussi le sphinx et aussi la sirène : les symboles modernes ne le sont pas. Le moyen âge et les temps modernes n’ont pas enrichi d’une seule ligne imaginaire la silhouette humaine. L’ange est essentiellement pictural : l’aile, si elle est grande et haute, doit être diaphane, ou, au moins, se perdre dans le modelé très doux d’un bas-relief. Les hippogriffes, les chimères que nos sculpteurs représentent enfonçant leurs griffes dans le thorax des poètes, sont tout bonnement risibles : ils ne donnent nullement l’impression de souplesse et de vigueur, d’une belle bête féroce, ni ce qu’a d’inévitable et de solennel une destinée. Ainsi, ni dans la chimère, ni dans l’exotisme, ni dans la préhistoire, l’artiste ne trouve les élémens nécessaires pour créer une myologie vraiment moderne. La statuaire ne peut donc se renouveler par la myologie du personnage, pas plus qu’elle ne l’a pu par l’enveloppe du monument. Le peut-elle par le geste ?


IV

Y a-t-il un geste moderne ? C’est-à-dire l’homme contemporain emprisonné dans un certain vêtement, courbé sur certaines besognes, en proie à certaines émotions, prend-il naturellement des attitudes que les anciens ne prenaient pas, ou, du moins, qu’ils n’ont pas reproduites, et qui témoignent nettement, même en l’absence de tout accessoire artificiel, qu’il appartient à une époque déterminée de l’évolution humaine et de la pensée ? S’il y en a, sont-elles sculpturales ? Et si elles le sont, dans quelle mesure nos statuaires ont-ils tenté de les exprimer ? Tel est le dernier terme de la question.

A peine est-on entré au Salon de 1905, dans le hall du Grand Palais, on perçoit qu’une idée toute différente de l’idée ancienne, inspire le geste moderne. Les anciens représentaient trois choses : Je repos, le jeu ou le combat. Les modernes représentent trois choses : le travail, la pensée ou la douleur. Il est évident, au premier coup d’œil, que les gestes ne sont pas choisis pour leur envergure plastique, mais pour leur grandeur morale. La dignité du travail, la solennité de ses attitudes, les stigmates de sa durée, apparaissent évidemment à nos sculpteurs comme dignes d’être immortalisés. On voit partout des faucheurs, des forgerons, des mineurs, des maçons remuant des blocs de pierre,