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admirables de nègres dessinés par Rubens. Mais, en sculpture, les exemples sont plus rares et bien qu’il y eût des précédens, ce fut un étonnement, au XVIIIe siècle, quand Houdon entreprit de faire admirer le buste d’une négresse ou, au XIXe siècle, lorsque Carpeaux modela son fameux Pourquoi naître esclave ? De nos jours, au contraire, l’exotisme a triomphé. L’entrée en scène des Javanaises, en 1889, a jeté un grand trouble dans l’orthodoxie myologique des ateliers, et aussi l’apparition des dieux ramenés par MM. Guimet et Cernuschi, et enfin, le pullulement des jaunes et des noirs à nos expositions universelles. Ce n’était point une cassette ou une monstrance qu’ils tenaient dans leurs mains, comme leurs aïeux figurés sous l’étoile de Bethléem, mais peut-être le don de quelque nouvelle beauté. Les artistes qui se promenaient silencieux, dans l’immense cohue de ces rencontres universelles, ne perdaient point leur temps. Peu à peu, ils découvraient le charme de certaines mimiques, quelle que fût leur lointaine analogie avec des attitudes simiesques, ennoblies par un rythme très lent. Ils dégageaient la signification de certaines attitudes très fléchies, les corps de ces races ayant une particulière aptitude à s’infléchir, aptitude déjà bien visible chez les scribes accroupis et les broyeuses de grain de la statuaire égyptienne. Ils scrutaient les visages fermés des Bouddhas, si différens du visage immobile, mais ouvert, des Dieux grecs. Et bientôt, quelque chose de cette myologie exotique a commencé de pénétrer dans notre art. M. Falguière et bien d’autres ont montré des danseuses dans des poses que la race blanche peut prendre, mais qui ne sont fournies naturellement que par la myologie des races jaunes. Ils ont aussi rêvé de renouveler la silhouette féminine en substituant au type classique de beauté l’aspect menu, gracile, à la fois plat et onduleux qu’offrent les estampes japonaises ou les statuettes égyptiennes. La beauté roide et violente des ascètes et des moines indiens, les extraordinaires torsions de leurs muscles figés en une immobilité vivante, la tension myologique de ces hommes que leur volonté change en statues, ont fait sur nos artistes une impression profonde ; par là, l’exotisme a marqué son empreinte dans le mouvement statuaire contemporain.

En même temps qu’il regardait plus loin dans l’espace, le sculpteur moderne regardait plus loin dans le passé. Les découvertes de l’anthropologie ouvraient à son imagination un champ