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peinture, c’est assez inutilement et pour un bien mince profit qu’il abandonne celles de la statuaire. Il dépense beaucoup de matière et de travail pour donner les mêmes impressions que, dans un camaïeu ou dans un fusain, il obtiendrait bien plus aisément. Et si, par la simplicité de son enveloppe, par la douceur de ses reliefs, ce n’est pas un aspect pictural qu’il cherche, mais un aspect monumental, celui d’un monolithe, d’un rocher, d’un bloc de pierre créé par la nature, alors la prétention du statuaire est plus vaine encore. Comme jamais son rocher sculpté n’aura l’ampleur et la masse d’un rocher sauvage ; comme jamais son héros, si « enveloppé » qu’il soit, ne ressemblera à un monolithe autant qu’un monolithe même, il est inutile de contrarier, pour si peu, l’œuvre de la nature et de tirer de la matière une forme qui tend si manifestement à s’y réintégrer. Il y a parmi les objets d’art exposés avenue Nicolas II une statuette de M. Michel intitulée : La Forme se dégageant de la matière. On peut dire que si l’évolution de la sculpture contemporaine se poursuivait jusqu’au bout, tout l’effort de nos artistes serait, au contraire, de l’y faire rentrer. Ce pourrait être fort intéressant, mais ce serait proprement la fin de la sculpture. « Un bloc de marbre était si beau… » que le statuaire n’osa pas y toucher, — telle serait aujourd’hui toute la morale du fabuliste. Et il est vrai qu’un bloc de rocher, de granit, avec ses crevasses, ses rondes bosses, son éclat, ses vagues apparences de muscles tourmentés et raidis qui cherchent à se développer et à s’étendre, peut avoir sa beauté. Mais il ne l’est pas moins que c’est là une beauté toute naturelle et que l’art n’y peut rien ajouter, mais seulement y contredire ou y gâter quelque chose par son insistance à montrer ce que le rêve seul et l’imagination devraient y voir. Tout aussi vaine est la tentative de faire, avec du marbre et un ciseau, de la peinture : c’est-à-dire de représenter les choses sur une surface quasi plane et non par des formes obtenues dans les trois dimensions, mais par des effets d’ombre et de lumière, ou de transparence et de clair-obscur, en réduisant les reliefs dans leur extrême fléchissement à peu de chose de plus que de forts empâtemens dans un tableau. Heureuse quand elle s’applique au drapé, cette peinture sculpturale devient tout à fait vaine, si elle prétend renouveler la statuaire. La sculpture est faite essentiellement pour représenter la forme, — la forme délimitée par ses trois dimensions, — et non pas l’espace illimité. Elle baigne elle-même dans l’espace,