Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagnes afghanes, l’épouvantail moscovite ; pour détourner cette menace, pourtant bien lointaine, lord Curzon et ses amis ont poussé à l’alliance japonaise et préparé la guerre actuelle : il se pourrait qu’un jour ils regrettassent d’avoir aidé aux succès du Japon, soit que la Russie, éloignée du Pacifique, cherche une revanche du côté du golfe Persique, soit que le Japon lui-même devienne, pour ses anciens alliés, un voisin trop puissant, et, pour les aspirations du nationalisme indigène, un exemple trop encourageant. Jusque parmi les populations de notre île de Madagascar, jusque dans l’empire anglais du Cap, où, à la faveur des luttes entre l’élément anglais et l’élément boer, les races noires se développent avec une rapidité si déconcertante, la victoire du Japon a eu, parmi les indigènes, une profonde répercussion. Ainsi, partout où s’étend la domination ou l’influence des nations européennes, la chute de Port-Arthur a éveillé des espérances qui se traduiront, dans un avenir prochain, par des faits menaçans pour l’hégémonie mondiale de la vieille Europe.


IV

Le péril commun qui menace, sinon leur existence et leur foyer, du moins certainement leurs possessions lointaines et leur prééminence économique et politique, aura-t-il la vertu de donner une forme concrète et vivante à ce sentiment de solidarité européenne qui n’existe encore qu’à l’état latent et pour ainsi dire inconscient ? Nous sera-t-il donné d’assister aux premières manifestations d’une politique de défense commune de tout cet ensemble d’idées, de croyances, de traditions et d’aspirations qui constitue, bien au-dessus des querelles nationales et des luttes de partis, le patrimoine incomparable de nos civilisations chrétiennes ? S’il peut y avoir un internationalisme bienfaisant, n’en serait-ce pas précisément la formule ? On peut espérer que la chute de Port-Arthur sera pour l’Europe un avertissement. La civilisation européenne n’est pas menacée actuellement de périr, par le fer et par le feu, sous les coups d’une formidable invasion asiatique ; le « péril jaune » ne s’avance pas sur nous, tel que l’empereur Guillaume il l’a symbolisé dans son fameux dessin, à la lueur d’un immense incendie ; mais les événemens de ces dernières années ont soulevé en Extrême-Orient une série de problèmes dont la solution importe au repos du monde et aux