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et comme un exemple. La presse, la gravure ont porté jusqu’au fond de l’Asie et de l’Afrique le bruit de la défaite des Russes et du recul de l’Europe : les peuples ont tressailli d’espérance ; de l’Afrique noire jusqu’aux extrémités de l’Asie, il n’en est pas un qui n’ait ses griefs contre l’Européen ; tout ce qu’ils ont reçu de lui, tout ce qu’ils ont appris à ses leçons, tout ce qu’ils lui doivent, malgré tout, de vraie civilisation bienfaisante, ils en oublient bien vite la source pour ne se rappeler que l’humiliation subie et le joug imposé : c’est la loi de l’histoire et elle n’est que justice lorsque la « civilisation » n’a été que le prétexte et, pour ainsi dire, le véhicule du mercantilisme.

Ainsi la chute de Port-Arthur aura été le point de départ d’une ère nouvelle où nos armes et nos machines seront employées au service de civilisations originales. L’époque où les nations de l’Europe s’élançaient à la conquête de territoires nouveaux est close ou près de l’être ; leurs émigrans et leurs marchandises continueront longtemps encore à se répandre sur le globe, mais elles sont près d’atteindre les bornes de leur empire. Déjà les trois Amériques presque tout entières se sont émancipées ; les races européennes y sont triomphantes, mais elles y ont formé des États nouveaux, très jaloux de leur indépendance et fiers de suffire, avec leurs propres ressources, à leurs principaux besoins. L’abandon, par le gouvernement britannique, de la convention Clayton-Bulwer, la renonciation de la première puissance maritime du globe à tout droit de contrôle sur le futur canal de Panama, et, tout dernièrement, le retrait des garnisons métropolitaines des Antilles anglaises et la suppression de toutes les escadres stationnées dans les eaux américaines, ont été interprétés, par toute la presse des États-Unis, comme un hommage à la doctrine de Monroe. Le président Roosevelt fait aujourd’hui, de cette charte de l’impérialisme américain, une application qui ne tend à rien moins qu’à l’élimination progressive de tout ce qui reste encore, en Amérique, de « colonies » appartenant à des États d’outre-mer. L’Amérique est aujourd’hui aux Américains ; si « Européens » qu’ils soient restés par leurs religions, leurs mœurs, toute leur civilisation morale, ils portent néanmoins, en tant que nations, la marque de leur origine : nés d’une insurrection contre leurs métropoles, les États américains en ont gardé une prédilection instinctive pour tout ce qu’ils croient être l’émancipation d’un peuple ; c’est pourquoi ils ont applaudi avec tant