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la prise de possession du globe par les grandes nations productrices, disposant des capitaux, des outils et des armes. Le régime économique caractérisé d’une part par le « capitalisme » et, de l’autre, par le « salariat, » devait avoir pour conséquence l’expansion et la conquête, l’impérialisme. « L’empire, c’est le commerce ! » s’écriait M. Joseph Chamberlain. L’impérialisme contemporain est, dans ses origines et dans ses aspects essentiels, un phénomène d’ordre économique. M. G. Ferrero a parfaitement montré, dans son beau livre, comment ce sont les banquiers, les publicains, les marchands, toute la classe accapareuse et usurière des manieurs d’argent qui ont mis en mouvement la force conquérante des légions de l’ancienne Rome[1]. C’est aussi la haute banque et la grande industrie qui ont lancé l’Angleterre contemporaine, l’Allemagne, les Etats-Unis et, à leur suite, toutes les nations modernes, dans les voies de l’impérialisme agressif. Pour les usines sans cesse multipliées, la consommation nationale n’offre qu’un exutoire insuffisant ; il faut vendre le fer, l’acier, les laines, les toiles, les cotonnades à des peuples lointains ; à mesure que la concurrence grandit, que les marchés s’encombrent, il faut trouver des débouchés nouveaux et les ouvrir, au besoin par la force, au besoin par la guerre : ne faut-il pas donner du travail aux innombrables ouvriers qui s’entassent dans les grandes villes ? Si l’atelier chômait, ou si seulement le taux des salaires venait à baisser, ce serait la révolution, la guerre civile : l’exportation et l’expansion servent de soupapes de sûreté à ces gigantesques machines surchauffées que sont les sociétés modernes. Ne faut-il pas surtout que les capitaux engagés dans les grandes affaires trouvent leur rémunération, que les actionnaires touchent des dividendes, les banquiers des primes et les agens des courtages ? Et alors toutes les forces vives de l’Etat sont mises en branle au profit des grosses entreprises industrielles et commerciales ; au besoin, si la porte refuse de s’ouvrir, l’armée et la marine sont là, comme une ressource suprême, pour rassurer les intérêts, éloigner la faillite, conjurer la révolution. Parfois, on voit le souverain lui-même mettre au service de l’expansion commerciale le prestige de sa fonction royale, l’autorité de sa parole et jusqu’aux loisirs de ses promenades. Les financiers, chargés de lancer les émissions,

  1. Grandeur et décadence de Rome, I, la Conquête (Plon).