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la prendre en ajoutant qu’ « elle la payeroit elle-même, s’il ne vouloit pas en faire la dépense[1]. »

« De même, ayant changé d’appartement à la mort de Monseigneur, on lui proposa de se commander un bureau qui répondît aux autres meubles garnissant le nouveau cabinet de travail qu’il devoit occuper. Il entra d’abord dans cette idée et fit venir l’ouvrier qui devoit l’exécuter. Mais le prix demandé lui ayant paru exorbitant : « Hé bien, répondit-il, Monsieur le Dauphin continuera de travailler sur le bureau du Duc de Bourgogne, et je sais l’usage que je ferai de l’argent qui me restera. » Il fut envoyé sur-le-champ à de pauvres officiers dont l’Etat ne pouvoit pas récompenser les services[2]. »

Il ne suffisait pas à l’ardente charité du Duc de Bourgogne de dépenser ainsi en aumônes la presque-totalité de l’argent que le Roi mettait à sa disposition. « Le désir de soulager les misérables sembloit aller chez lui, dit Proyart, jusqu’à une sorte d’inquiétude. » Il se reprochait de conserver des objets de prix dont la vente aurait pu augmenter les sommes qu’il distribuait aux pauvres. Volontiers, il aurait été tenté de vendre les objets précieux qui garnissaient son appartement. Mais il s’en faisait scrupule, car ils appartenaient au Roi. Il n’en était pas de même de ceux qu’il pouvait considérer comme sa propriété particulière. Longtemps il avait eu le goût des pierres fines, et il en avait composé une collection. Peu à peu, il s’était défait des plus précieuses, mais il en avait conservé quelques-unes. « Précisément en cette année 1709, le curé de Versailles étant venu lui représenter que la misère continuoit toujours, il l’introduisit dans son cabinet et lui remettant ses pierreries : « Monsieur le curé, lui dit-il, puisque nous n’avons plus d’argent et que nos pauvres meurent de faim : Dic ut lapides isti panes fiant, et les pierres furent changées en pain[3]. » Saint-Simon rapporte également de lui un trait touchant : « Il avoit fait faire deux petits seaux d’argent pour rafraîchir son vin sur sa table ; il les aimoit ; ils lui paroissoient commodes et bien faits, et il se repentit de cette dépense et de cet attachement. Bientôt après, les deux seaux disparurent et devinrent la nourriture des pauvres[4]. »

  1. Proyart, t. II, p. 242.
  2. Ibid., t. II, p. 243.
  3. Ibid., t. II, 242.
  4. Éloge inédit du Duc de Bourgogne, publié par M. de Boislisle, p. 17.