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je répondrois devant Dieu de la mort des pauvres de Versailles qui périroient, faute d’être secourus, si je ne l’avertissois de leurs pressans besoins. C’est dans cet esprit qu’en l’année 1709, dont ils ressentirent la rigueur plus qu’en aucune autre par la cherté des vivres, il leur a souvent donné tout ce qu’il avoit d’argent sans se rien réserver. »

Ainsi, grâce à lui, un grand nombre de pauvres purent être nourris par le curé de Versailles. Mais il ne suffisait pas au Duc de Bourgogne de pourvoir à leurs besoins matériels. Il s’inquiétait des tentations auxquelles la misère pouvait les exposer. « Dans la dernière année, dit encore le curé de Versailles, ayant appris qu’il se trouvoit de pauvres filles d’ailleurs fort sages, mais dans la dernière nécessité, sans pain, sans condition, et en un mot, en grand danger, et que j’en avois retiré quelques-unes, ayant même retenu pour cet effet une chambre et fait faire quelques lits chez une personne de confiance, ce Prince me dit aussitôt qu’il adoptoit cette bonne œuvre et que j’en retirasse autant qu’il se pourroit, et il a continué jusques à sa mort de m’aider à en nourrir et loger jusques à huit ou dix… Ce grand Prince avoit si fort à cœur cette bonne œuvre qu’il me faisoit l’honneur de me dire de tems en tems : Hé bien, monsieur, combien avons-nous encore" de pauvres filles ? »

Sur douze mille livres qui lui étaient allouées par mois pour ses menus plaisirs, le Duc de Bourgogne en employait ainsi onze mille en charités, ne s’en réservant que mille. Les comptes trouvés dans sa cassette après sa mort l’établissent d’une façon positive. Mais comme il se cachait de ses charités, les courtisans étaient parfois disposés à l’accuser d’avarice en le voyant se refuser aux moindres dépenses superflues. Il ne s’accordait en effet aucune fantaisie : « C’étoit la mode du jour, rapporte Proyart, d’avoir une écritoire d’argent ; on en voyoit déjà dans les bureaux des commis. Le Dauphin n’en avoit point encore, on lui en présenta une. Le Prince l’examine ; il en paroît amateur, il s’informe du prix, et il dit qu’il ne la prendra point. On lui demande si elle n’est point de son goût ; elle lui plaît infiniment : « Mais les pauvres ! » Mme de Maintenon étoit présente : « En vérité, Monsieur, lui dit-elle, vos pauvres seroient bien ridicules si, après tout le bien que vous leur faites, ils trouvoient mauvais que vous vous donnassiez une écritoire. » Et elle l’obligea de