Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que viennent tant d’ennemis ; que dis-je, Sire, des ennemis ! Ce sont des instrumens dont la Providence se sert pour achever le grand ouvrage de votre sanctification. Encore un peu de temps, les verges des infidèles seront jetées au feu. Nous avons lieu de croire que sa miséricorde était contente dans le grand combat où la victoire a paru revenir à vous ; elle est retournée encore une fois, mais teinte du sang de vos ennemis[1]. Ne puis-je donc pas vous dire aujourd’hui, Sire, en finissant ce discours, ce que disait autrefois Jésus-Christ à saint Pierre en lui baisant les pieds : Laissez-moi faire, ce que vous ne comprenez pas aujourd’hui, un jour vous le comprendrez. Mes voies vous sont inconnues, les routes dans lesquelles je vous fais entrer vous paraissent étrangères ; mais, quand le rideau sera tiré et que le nombre de jours sera écoulé, vous verrez que je n’ai pensé qu’à vous rendre heureux dans l’éternité que je vous souhaite. »

Le Duc de Bourgogne n’avait point de responsabilité directe dans les mesures à prendre pour parer à tant de maux. Il se bornait à assister exactement aux différens Conseils où il avait entrée depuis deux ans. Il entendait avec émotion les rapports que les ministres adressaient au Roi sur les misères du peuple. « Le Duc de Bourgogne, dit son biographe Proyart, se faisoit exactement instruire de l’état du peuple, quoique souvent il ne lui revînt de cette connoissance que la douleur de ne pouvoir le soulager. Dans un Conseil où le duc de Beauvilliers exposoit au naturel l’extrémité de la misère publique, on vit le prince éclater en soupirs, et plusieurs ministres mêler leurs larmes aux siennes[2]. » La seule chose qu’il pouvait faire, c’était de prendre sa part du grand mouvement de charité qui se développa, en réponse aux exhortations des évêques. Les aumônes furent abondantes. A la vérité, elles n’étaient pas toujours absolument volontaires. C’était une vieille tradition de notre droit public que dans les temps de calamité, les Cours avaient le droit d’établir dans chaque ville une taxe des pauvres à laquelle tous les habitans étaient astreints à contribuer, « les taillables proportionnellement à leur cote d’impôt, et les privilégiés et non taillables au sol la livre des deux tiers de leur revenu présumé. » A cet impôt personne n’avait le droit de se soustraire. C’est ainsi que dans le Journal de Pierre Narbonne, premier commissaire de

  1. Allusion à la bataille de Malplaquet.
  2. La Vie du Dauphin Duc de Bourgogne, par l’abbé Proyart, t. I, p. 267.