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comment, suivant Bellerive, elle se serait passée. « Le duc de Vendôme ayant été faire sa cour au Dauphin chez qui la Duchesse de Bourgogne vint et, l’y voyant, dit tout haut : « Voilà donc cet homme qui sait faire de si belles choses. » Le duc de Vendôme, sans sortir du respect qu’il devoit à cette princesse comme Duchesse de Bourgogne, se rendant justice à lui-même, lui fit cette réponse : « Ah ! Madame, si on m’avoit laissé faire, j’aurois réduit Turin en cendres et M. de Savoie, votre père, à ne pouvoir montrer une poignée de terre de ses Etats. Il ne m’auroit pas échappé comme à d’autres ; je l’aurois fait conduire au pied du trône du Roi mon maître, [pour lui demander pardon de son infidélité, et, si on m’avoit laissé faire, Madame, la dernière campagne en Flandre, Mgr le Duc de Bourgogne auroit triomphé d’Oudenarde, comme de Gand et de Bruges, Lille ne se seroit point rendue, et les ennemis ne seroient point où ils sont présentement. » Le duc de Vendôme, continue Bellerive, sortit de l’appartement du Dauphin et fut chez le Roi pour lui rendre compte de ce qui venoit de se passer. Le monarque, regrettant toujours sa première conquête, approuva la réponse que Vendôme avoit faite à la Duchesse de Bourgogne[1]. »

Il est à peine besoin de faire ressortir l’invraisemblance de ce récit. Si insolent que fût Vendôme, il ne l’était pas au point de manquer ainsi ouvertement de respect à la Princesse et, en tout cas, Louis XIV ne l’eût point approuvé. Nous n’avons donc laissé parler Bellerive que pour montrer à quel point les passions étaient surexcitées du côté des amis de Vendôme. Elles devaient l’être d’autant plus qu’il était évident à tous les yeux que la Princesse l’emportait. Il faut entendre en quels termes Saint-Simon célèbre, on pourrait presque dire chante, ce triomphe : « On vit cet énorme colosse tomber à terre par le" souffle d’une jeune princesse sage et courageuse, qui en reçut les applaudissemens si bien mérités. Tout ce qui tenoit à elle fut charmé de voir ce dont elle étoit capable, et ce qui lui étoit opposé, à elle et à son époux, en frémit. Cette cabale si formidable, si élevée, si accréditée, si étroitement unie pour régner après le Roi sous Monseigneur, en leur place, au hasard de se manger alors les uns les autres sur les ruines de la Cour et du royaume demeureroient ces chefs mâles et femelles, si entreprenans, si audacieux et qui, par leurs

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVIII, p. 491.