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l’Angleterre, le Maroc nous en a rapprochés. C’est là ce qu’il y avait de nouveau et d’imprévu dans notre politique méditerranéenne. Quoi ! pas un nuage ne s’était formé entre ces puissances et nous, ou, s’il s’en était formé un, il avait été dissipé ! S’il ne s’était agi que de l’Italie et de l’Espagne, on n’y aurait probablement pas vu grand inconvénient à Berlin ; mais il y avait aussi l’Angleterre. L’Egypte pesait sur nos rapports avec elle, et le Maroc risquait d’y peser un jour davantage. C’est le contraire qui est arrivé : les deux questions ont été résolues l’une par l’autre et tout aussitôt les relations des deux pays ont pris un caractère d’intimité qu’elles n’avaient pas eu depuis longtemps. Est-ce là ce qui a déplu à l’Allemagne ? Peut-être. A mesure qu’on a vu à Berlin le rapprochement anglo-français devenir plus étroit, on y a donné une attention plus grande. Nul n’ignore en effet que la rivalité d’intérêts qui existe dans le monde entier entre l’Angleterre et l’Allemagne entretient entre ces deux pays des sentimens de plus en plus vifs. Il y a là un sujet d’inquiétude pour un avenir qui, nous l’espérons, est encore éloigné, car quand on a du temps devant soi les choses peuvent toujours s’arranger, à la condition qu’on y mette beaucoup de prudence et de modération. Quant à nous, nous n’avons a priori aucune raison de prendre parti pour ou contre l’Angleterre ou l’Allemagne dans des affaires qui ne sont pas directement les nôtres ; mais cette indépendance même, que nous entendons conserver, dérange peut-être certaines vues sur les classemens ultérieurs des puissances, et il nous semble, en vérité, par momens qu’on ne serait pas éloigné de nous faire quelque violence pour nous déterminer dans un sens ou dans l’autre. Reste à savoir si des procédés de cette nature ne risqueraient pas d’avoir la conséquence contraire à celle qu’on se propose, et ne nous rejetteraient pas du côté opposé à celui où on voudrait non seulement nous attirer, mais nous tirer.

Faut-il répéter que ce sont là de simples hypothèses sur une situation qui demeure très obscure à nos yeux ? Mais ces hypothèses s’imposent, car l’intérêt commercial de l’Allemagne au Maroc n’est pas assez grand pour justifier, dans le fond et dans la forme, les brusques interventions qui se sont produites à Tanger ou à Fez. Nous sommes prêts en tout cas, nous l’avons dit, à donner au sujet de cet intérêt toutes les garanties qu’on est en droit de nous demander : mais peut-être entend-on nous demander encore autre chose. Alors, qu’on le dise de manière que nous puissions voir clair dans la situation qui nous est faite. Quant à nos sentimens, nous n’avons pas à les dissimuler. La France, suivant un mot plein de bon sens de Talleyrand,