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suffirait d’un coup de tête des Japonais pour nous imposer l’état de guerre sans que nous l’eussions voulu, par exemple s’ils venaient attaquer les Russes dans nos eaux territoriales, ou s’ils poursuivaient leurs navires dans nos ports, comme ils l’ont fait au début des hostilités dans les ports coréens ou chinois. La presse anglaise serait, nous n’en doutons pas, la première à condamner un acte pareil ; mais le langage qu’elle a tenu un moment n’était-il pas de nature, en faisant croire aux Japonais qu’ils avaient vraiment contre nous des griefs légitimes, à les porter à quelque résolution inconsidérée ? Par bonheur, le gouvernement a parlé avec plus de sagesse : en cela il a rendu service à tout le monde et aux Japonais eux-mêmes. Ils n’ont, en effet, aucun intérêt à ce que la guerre, en se généralisant, se complique et amène des éventualités au milieu desquelles leur fortune pourrait sombrer. Personne, nous voulons le croire, ne rêve l’extension de la guerre. Nous ne parlons pas de nous, c’est entendu : on sait à quel point nous sommes pacifiques ; mais l’Angleterre ne l’est pas moins. C’est bien assez que la guerre fasse couler à flots le sang de deux nations généreuses ! A Paris et à Londres, on veut la paix sincèrement, fermement, fortement, et cela suffit pour que nous ayons la certitude qu’elle sera maintenue.

Aussi bien n’a-t-elle pas été un seul moment en danger, et pas plus en Occident qu’en Extrême-Orient. L’affaire du Maroc est toujours pendante, et il continue d’être très difficile de démêler les intentions véritables qu’a nues l’Allemagne en y prenant attitude avec l’éclat que l’on sait : il semble bien, cependant, que, là encore, un peu plus de calme soit rentré dans les esprits. On peut dire, à la vérité, que M. de Tattenbach étant parti pour Fez, il n’y a plus qu’à attendre le résultat de sa mission : on verra alors ce qu’il conviendra de faire de part et d’autre. Attendons, puisqu’on ne peut plus faire autrement ; mais peut-être serait-il dangereux de s’en tenir à cette attitude négative et d’attendre en se croisant les bras. Si M. de Tattenbach obtient beaucoup à Fez, nous n’aurons pas à nous en féliciter ; s’il n’obtient rien, la situation sera éclaircie, mais ne sera pas améliorée, du moins aux yeux de ceux qui souhaitent, comme nous, de reprendre le plus tôt possible de bons rapports avec l’Allemagne, au Maroc et ailleurs. Aussi nous paraîtrait-il plus utile que jamais de savoir ce que veut le gouvernement de Berlin et de connaître le but qu’il poursuit ; et, par malheur, nous continuons de l’ignorer.

Si on a pu reprocher à M. Delcassé d’avoir été autrefois trop peu communicatif avec l’Allemagne, il faut convenir que celle-ci le lui a