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déterminée à ne plus me remettre dans toutes ces agitations ; il faut du temps pour changer les termes d’une relation, et, sous ce rapport, la prolongation de mon séjour ne peut qu’être favorable. » Cependant, à Naples, Mme Récamier apprenait la disgrâce de Chateaubriand, renvoyé du ministère. Celui-ci écrivait, se plaignait, avait besoin d’être consolé. Elle revint.

Ce que fut Mme Récamier pour Chateaubriand, après 1830, lorsque le grand homme tenu à l’écart de l’action politique et délaissé par la jeune génération littéraire, bâilla littéralement sa vie, on le sait depuis longtemps ; et sur les rites de ce culte de chapelle organisé autour de l’idole, nous n’avons probablement plus rien à apprendre. Toutefois on se demande si devant l’insatiable égoïsme et la vanité jamais satisfaite de René, celle même qui y sacrifiait les trésors de son ingéniosité n’eut pas ses instans de lassitude. Était-elle arrivée à se faire illusion à elle-même ? Avait-elle conservé toute sa clairvoyance ? Il semble bien que cette dernière hypothèse soit la vraie. Cela ressort d’un fragment de conversation que Louis de Loménie notait en 1841. « M. de Chateaubriand, lui confiait Mme Récamier, a beaucoup de noblesse, un immense amour-propre, une délicatesse très grande ; il est prêt à faire tous les sacrifices pour les personnes qu’il aime. Mais de véritable sensibilité, il n’en a pas l’ombre ; il m’a causé plus d’une souffrance. » De pareilles confidences sont singulièrement significatives : elles éclairent une situation : elles nous permettent de mesurer combien lourde dut paraître plus d’une fois à Mme Récamier la tâche qu’elle avait assumée !

A vrai dire, des figures de premier plan, telles que celles de Mme de Staël ou de Chateaubriand nous sont trop familières, et l’originalité en est marquée de traits trop puissans, pour que la connaissance que nous en avons soit sensiblement modifiée par les détails, même curieux, qu’on nous apporte ici ; et nous en dirions autant de tout ce qui concerne Adrien ou Mathieu de Montmorency, Benjamin Constant, Camille Jordan ou Ampère. Mais il est une figure que peu à peu nous voyons se dessiner, dans son individualité de demi-teinte, un caractère avec lequel nous lions connaissance intime, et pour qui, à mesure que nous le connaissons mieux, nous nous prenons de plus de sympathie : c’est le doux philosophe Ballanche. C’est lui qui aura, plus qu’aucun autre, bénéficié de la présente publication. Peut-être en effet l’étude biographique est-elle celle dont il a le plus de profit à attendre. Son œuvre est intéressante et rebutante, l’homme était exquis. Rien n’est plus curieux que de voir