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pour la dernière fois. » Et, vers le même temps, il exhalait son dépit en termes amers auprès de Mme de Staël : « Vous voulez, disait-il, justifier la conduite de votre amie envers moi ; cependant, si vous la connaissiez entièrement, je suis bien sûr, madame, que vous changeriez d’opinion. Vous savez que sa conduite devait me faire croire qu’elle avait pour moi un attachement qui aurait fait le bonheur de ma vie et qu’elle avait même lié sa destinée à la mienne par les sermens les plus solennels. Il se peut que les circonstances pendant lesquelles j’ai appris à la connaître lui ont fait illusion sur la nature du sentiment qu’elle a eu pour moi. Malgré cela, elle a trouvé un plaisir cruel à entretenir pendant plus d’une année des sentimens auxquels son cœur ne répondait plus. Une conduite pareille, qui passe vraisemblablement en France pour de la coquetterie, me paraît le comble de la perfidie. » Est-ce ici la plus grande coquetterie de Mme Récamier ? Ou plutôt, n’avait-elle pas été elle-même plus sincère qu’elle ne le fut jamais ? En tout cas, qu’elle ait été profondément troublée par cette aventure, cela ne fait pas de doute : elle songea au suicide. Elle devait se tuer en absorbant des pilules d’opium. On a la lettre par laquelle elle avertissait M. Récamier de sa résolution. Par bonheur, les suicides annoncés sont les moins dangereux. Le roman ne se dénoua pas en mélodrame. Même il eut une heureuse fin. Le prince Auguste guérit de sa blessure ; il se consola, il s’apaisa : il fit comme les autres, et, pareil à toutes les victimes de Mme Récamier, il réclama sa place au nombre de ses amis et reprit avec elle la correspondance.

Dans l’étude qu’il consacrait à Mme Récamier, au lendemain de sa mort, Sainte-Beuve traçait le plan d’une série de chapitres qu’il regrettait de ne pouvoir encore esquisser. « L’un de ces chapitres serait celui de ses relations et de son intimité avec Mme de Staël… Un autre chapitre traiterait de la conquête aisée que Mme Récamier fit à Lyon du doux Ballanche. Un autre chapitre offrirait ses relations, moins simples, moins faciles d’abord, mais finalement si établies avec M. de Chateaubriand. » C’est le programme même de toute étude sur Mme Récamier. La première partie de son histoire, qui se lie à celle de Mme de Staël, n’est pas la moins curieuse. Ou plutôt, c’est un prodige que l’intimité ait pu se prolonger entre deux femmes diversement mais également célèbres, et qui avaient tant de chances de devenir rivales ! On en croit sur parole le Suisse Gaudot, qui les avait vues ensemble à Coppet, quand il écrit : « On imaginerait difficilement la quantité et la finesse des petites tracasseries qui ont été produites par cette longue vie de château. Mme de Staël et Mme