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le caractère de l’orateur dans le discours qu’il lui l’ait tenir. Caton, en cette circonstance, a du son succès à son caractère encore plus qu’à son talent. Il parlait bien sans doute, mais Cicéron parlait mieux que lui ; ce n’est donc pas uniquement par son éloquence qu’il est parvenu à entraîner ceux que la parole de Cicéron avait laissés indifférens. Il ne leur a pas donné de raisons nouvelles ; presque toutes celles dont il s’est servi se trouvent dans la quatrième Catilinaire ; mais elles produisent chez lui un autre effet. D’abord il avait tellement à cœur, quand il parlait, le salut de la république, qu’il ne songeait pas à lui-même. Cicéron lui en fait de grands éloges. Il aurait bien voulu qu’on en dît autant de lui, car il savait que, pour convaincre des auditeurs, il n’y a rien de loi que de les persuader qu’on ne pense qu’à eux, et qu’on n’a de souci que de leurs intérêts. Il se donne quelquefois l’illusion de paraître croire lui-même qu’il ressemble à Caton par cette qualité, et il voudrait bien le faire croire aux autres. Assurément il est sincère quand il dit aux sénateurs : « Vous avez un chef qui s’oublie lui-même et ne songe qu’à vous. » Mais le moyen qu’ils puissent en être convaincus, lorsque aussitôt il les entretient de tous les siens, de son frère, de sa femme, de son fils, de sa gloire, de ses dangers ? Caton, dans tout son discours, ne parle de lui qu’une fois, pour rappeler qu’il est un grondeur insupportable et que sa mauvaise humeur lui fait beaucoup d’ennemis. Quant aux dangers auxquels il s’expose en parlant librement, il n’en dit pas un mot. Pourquoi s’en préoccuperait-il ? En quelque situation que sa franchise puisse un jour le mettre, il sait le moyen d’en sortir.

Il va donc parler résolument, sans habiles préparations, sans réticences calculées. Pour tout exorde il se contente de dire brusquement, presque brutalement, qu’il pense tout le contraire de ceux qui ont opiné avant lui : Longe mihi alia mens est, Patres conscripti. Comme le temps n’est pas aux belles paroles, il ne s’attarde pas à discuter leurs opinions. Pour répondre à César, un mot lui suffit : César veut qu’on emprisonne les condamnés dans les villes italiennes, de peur qu’à Rome on ne paie quelques malhonnêtes gens pour les délivrer, « comme s’il n’y avait de coquins qu’à Homo et non dans toute l’Italie, et que l’audace des malfaiteurs ne fut pas plus à craindre quand il y a moins de ressources pour la réprimer. » Quant au fameux argument sur les enfers et sur l’autre vie, il le mentionne à peine en passant ; et il