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il se trouverait au bout de peu de temps quelque agitateur populaire qui, malgré toutes les défenses, obtiendrait qu’on les remît en liberté, et qu’ils reviendraient tranquillement à Rome reprendre leurs anciennes pratiques. Mais César avait un moyen infaillible d’amener à son opinion ceux que n’auraient pas convaincus ses argumens ; c’était de leur faire peur. Aussi cherche-t-il à les effrayer sur les suites de la résolution qu’ils vont prendre. Lentulus et ses complices, leur dit-il, sont certainement de grands coupables. Mais les hommes sont ainsi faits que la dernière impression est chez eux la seule qui reste. On oubliera leurs crimes pour ne se souvenir que de leur supplice, et, pour peu qu’il paraisse avoir dépassé la mesure, on voudra le venger. « On se trouve toujours mal à sortir de la légalité. Il est dangereux qu’on prenne l’habitude des mesures d’exception. Elles paraissent légitimes lorsqu’on les applique aux criminels, mais, quand les circonstances changent, elles Unissent par atteindre les innocens. Ceux qui en ont usé les premiers en deviennent souvent victimes, et il est d’autant plus facile de les frapper qu’on n’a qu’à se servir du précédent qu’ils ont créé eux-mêmes. » Tous ces raisonnemens, qui sont fort justes, César les appuie sur des exemples tirés de l’histoire, et il n’a pas à chercher bien loin pour les trouver. Vingt ans à peine séparent l’époque où il parle de la dictature de Sylla. Tous ceux qui l’écoutent ont vu ces temps affreux, et aucun ne les a oubliés. Cicéron dit bien « qu’on en a gardé une telle horreur que personne, pas même les bêtes, n’en pourrait souffrir le retour. » Mais c’est l’éternelle illusion des honnêtes gens, avec leur optimisme tenace, de croire à chaque fois que ces crises violentes sont Unies pour jamais et pourtant de craindre toujours qu’elles reviennent. César le savait bien, et voilà pourquoi froidement, sans phrases, avec des faits, il rappelle ces souvenirs effrayans, il les raconte avec complaisance, il les montre à l’horizon comme une menace, et l’on comprend bien que cette annonce de proscriptions nouvelles, devant des gens qui les redoutent, sans le dire, et dont plusieurs devaient en être les victimes, ait fait courir un frisson dans toute l’assemblée.

Nous aurions peine à nous figurer, si on ne nous l’avait pas dit, l’effet que produisit le discours de César. Tout le parti, qui jusque-là votait avec un si bel ensemble, en fut déconcerté. On eut tout d’un coup le sentiment de responsabilités qu’on ne