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c’était le métier de se faire payer pour soulever des émeutes. Cicéron comprit que, s’il voulait empêcher qu’on ne fit sauver les prisonniers, il n’avait pas de temps à perdre, et qu’il fallait prendre au plus tôt les dernières mesures. Il convoqua le Sénat pour le lendemain.


III

Le 5 décembre, ou, comme disaient les Romains, le jour des nones de décembre de l’année 691, a été une des plus grandes journées parlementaires de Rome. La question qu’on allait débattre ce jour-là devant le Sénat, le droit de punir, est peut-être la plus grave que puisse agiter une assemblée délibérante. Ce fut aussi une journée révolutionnaire ; elle rappelle certaines séances de notre Convention nationale, celles où les sections en armes, et venant demander quelques têtes, remplissaient la place du Carrousel, où les cris de la foule pénétraient jusque dans la salle enflammée par les déclamations des orateurs et venaient épouvanter les députés sur leurs bancs. On va voir se produire à Rome quelque chose de ces scènes violentes.

L’animation était grande depuis qu’on avait découvert la conjuration ; mais elle dut redoubler quand on sut qu’on allait décider du sort des conjurés. De tous les quartiers de la ville on se rendit au Forum, qui était le centre de la vie politique. Cicéron affirme que cette foule était favorable au Sénat et prête à le défendre, et sur ce point Salluste est d’accord avec lui ; il prétend que depuis deux jours il s’était produit un revirement complet dans l’opinion publique, et tous les deux l’attribuent à la même cause. Une révolution n’était pas pour effrayer la populace de Rome tant qu’elle put croire qu’elle n’avait rien à y perdre, et même qu’elle pouvait y gagner. Elle prit peur lorsqu’elle sut qu’au pillage on se proposait de joindre l’incendie. Le pillage menace surtout les palais des grands seigneurs, mais l’incendie atteint aussi la maison du pauvre, et il tient d’autant plus à sa maison qu’elle contient toute sa fortune. « Tout ce petit monde des artisans, dit Cicéron, est par sa situation même ami de la tranquillité. La paix alimente leur industrie. Ils ont besoin pour vivre qu’il leur vienne des acheteurs en grand nombre. Si leurs profits diminuent les jours d’émeute, quand ils