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quelque autre, et que, ne pouvant l’y décider, ils se chargèrent eux-mêmes de répandre des bruits calomnieux, qu’ils attribuaient à Volturcius ou à d’autres personnes bien informées. Ces bruits habilement colportés finirent par exciter contre César une colère furieuse, si bien que le lendemain, quand il sortit du Sénat, les chevaliers, qui montaient la garde, se jetèrent sur lui et l’auraient tué, s’il n’eût été protégé par le dévouement de ses amis et l’intervention opportune de Cicéron.

Cicéron se conduisit ce jour-là en honnête homme, s’il était convaincu que César ne faisait pas partie de la conjuration ; mais il s’est conduit surtout en politique avisé. Il n’était pas sage de se mettre trop d’ennemis sur les bras, et surtout des ennemis si redoutables. Les cinq qu’on avait retenus lui créaient déjà beaucoup d’embarras. Le Sénat ayant décidé, dans la séance de la veille, qu’on les garderait prisonniers, on les avait soumis à cette sorte d’emprisonnement qu’on appelait custodia libera, et qui était en effet un mélange de servitude et de liberté. Il consistait à les confier à la garde de quelques personnes de leur connaissance, qui en étaient responsables, et chez lesquels ils attendaient avec plus de patience le moment d’être jugés. De cette façon la prison préventive, qui déplaisait aux Romains, se trouvait adoucie et presque supprimée. Crassus et César étaient du nombre de ceux à qui la garde des conjurés était remise : le Sénat tenait à leur donner une marque publique de sa confiance. On pense bien que cette sorte de surveillance n’était pas très rigoureuse et que les prisonniers pouvaient facilement s’y soustraire ; mais depuis que la peine de mort n’était presque plus appliquée, ils n’avaient aucun intérêt à s’enfuir, puisqu’ils pouvaient toujours au dernier moment prévenir une sentence trop dure par un exil volontaire. Cette fois pourtant, dans les circonstances graves où l’on se trouvait, les choses pouvaient plus mal tourner qu’à l’ordinaire. Les prévenus et leurs amis s’en inquiétaient. Cethegus faisait dire à ses esclaves et à ses cliens, qui étaient ardens et résolus comme lui, de se réunir et de venir en masse donner l’assaut à la maison de Cornificius où il était retenu. Les gens de Lentulus se donnaient aussi beaucoup de mal. On voyait l’un d’eux, qui était une sorte de bas complaisant (leno), qu’il avait préposé à ses plaisirs, entrer dans les boutiques et offrir de l’argent à ceux qui voudraient le suivre. D’autres s’adressaient aux meneurs des sociétés populaires, dont