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Lord Selborne s’est expliqué très résolument à cet égard. Il a été construit un très grand nombre de cuirassés et de croiseurs cuirassés en Angleterre dans les dernières années. Il y en a en ce moment un nombre très respectable en cours de construction ou en état d’achèvement. Or il s’est produit, en 1904, un fait d’une grande importance. L’escadre russe du Pacifique a été détruite. Six cuirassés et six croiseurs sont à déduire du nombre des navires de guerre étrangers que la flotte anglaise peut être appelée un jour à détruire éventuellement. C’est ce fait qui a permis à l’Amirauté de proposer de mettre en chantier un croiseur cuirassé de moins en 1904-1905 que dans les années précédentes et de ne commencer qu’un cuirassé en 1905-1906. C’est le triomphe de l’amiral Togo qui permet au Trésor anglais de réaliser une économie de 50 millions, ce qui démontre une fois de plus que l’amitié des forts est un bienfait des dieux.

La mesure de radiation a rendu possible la refonte de tout le système de mobilisation navale. Nous nous bornerons sur ce point aux strictes indications indispensables pour notre étude.

Les forces navales de la Grande-Bretagne ne se composent plus que de bâtimens neufs, propres au combat ; on les divise, en temps de paix, ainsi qu’il a été dit plus haut, en deux parts : la flotte active et la flotte de réserve. Celle-ci comprendra tous les bâtimens qui ne sont point en service à flot, à l’exception de ceux qui auraient besoin de réfections d’une longue durée et seraient, pour ce fait, provisoirement rayés. Chaque navire, armé en réserve, aura en permanence son état-major, comprenant une proportion suffisante d’officiers de toutes branches, et les deux cinquièmes de l’équipage réglementaire pour le temps de guerre. Sur un ordre de mobilisation, les équipages seront complétés et les bâtimens prendront la mer. On aura toujours ainsi, prêts pour la mobilisation, des navires sur lesquels pourront compter les chefs d’escadres, et, sur chacun de ces navires, une proportion notable de matelots et d’officiers le connaissant, et assurant son bon fonctionnement avec l’aide des nouveaux embarqués[1].

  1. Pourquoi cette organisation n’avait-elle pas été adoptée plus tôt ? Le mémorandum en donne l’explication. Il a été remarqué, dit-il, que toutes les fois qu’une portion de la flotte avait été mobilisée spécialement pour les manœuvres, il s’était produit, pendant la durée de ces opérations, de nombreux accidens de machinerie, plus ou moins sérieux, sur les bâtimens mobilisés, dépassant fortement la proportion des accidens du même genre qui se produisent sur les bâtimens en service régulier.
    La cause de cette différence n’a rien de mystérieux. Pendant les quinze années qu’a duré l’expansion de la flotte, l’Amirauté n’a jamais pu conserver dans les ports une proportion du personnel marin suffisante pour tenir les navires de la réserve de la flotte dans une condition tout à fait satisfaisante. Les équipages commissionnés au moment de la mobilisation, c’est-à-dire improvisés, n’avaient point le temps de se familiariser avec les innombrables détails qui constituent ce que l’on peut appeler l’ « individualité » d’un bâtiment.
    L’Amirauté a essayé chaque année de remédier à cet inconvénient en proposant de larges additions au personnel de la flotte, et c’est ainsi qu’en moins de quinze années, le personnel a plus que doublé. Mais l’accroissement du nombre, des dimensions et de la force des navires mis en commission régulière a plus que dévoré cette augmentation du personnel.
    Les auteurs de la nouvelle organisation espèrent qu’elle remédiera à ces défectuosités. L’élimination des vieux bâtimens a permis de disposer d’un personnel considérable pour constituer des équipages, réduits, mais à effectif permanent, sur les navires en réserve, comme elle permet de ne soumettre à la mobilisation que des bâtimens en excellente condition et prêts pour le combat.