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de les dérider tous deux par la verve de ses saillies imprévues. À certains momens, la jovialité de son humeur lui suggérait des charges d’une bouffonnerie irrésistible et l’incitait même à danser, en clochant de la manière la plus grotesque sur sa jambe de bois, son pilon, comme il l’appelait. C’étaient là de courtes diversions au labeur incessant de ces bons ouvriers. Profitant des exemples que lui donnait Rousseau, Diaz était parvenu à rendre, avec un sens très personnel, quelques-uns des aspects pittoresques de la forêt dont peu à peu il s’était aussi épris. Son dessin hésitant, peu correct, trahissait l’insuffisance de son instruction première ; mais, avec une adresse merveilleuse, il savait tirer parti des hasards d’une exécution spirituelle, pour exprimer le désordre touffu de ces clairières ou de ces fourrés à travers lesquels les rayons du soleil, capricieusement tamisés par le feuillage, sèment, çà et là, quelques accrocs de lumière sur le velours des mousses, sur les rochers grisâtres, ou sur les troncs blancs des bouleaux. Son Sous-Bois, de la collection Thomy-Thiéry, peint en 1853, est, en ce genre, un de ses meilleurs ouvrages. Bien mieux que ses Orientales de rencontre ou ses molles figures allégoriques, insignifians pastiches du Corrège et de Prud’hon qui tiennent dans son œuvre une trop large place, ses intérieurs de forêt et même ses déserts sablonneux méritent de faire vivre son nom. Diaz avait trouvé sa voie à Barbison, et quand, après chacun de ses séjours, rentrant à Paris avec sa moisson d’études et de tableautins, les artistes lui faisaient fête, modestement, en bon camarade, il reportait aux enseignemens de Rousseau l’honneur de ces succès et ne se lassait pas de vanter le talent du maître : « Ce que je fais est peu de chose, disait-il ; mais il y a là-bas un solitaire qui fait des merveilles. »


IV

L’Exposition universelle de 1855, où Rousseau n’avait pas moins de treize paysages et où il obtint la médaille d’or, acheva de consacrer sa réputation. Avec désœuvrés récentes comme la Lisière des Monts-Girard, les Chênes d’Apremont et deux Sorties de bois, on y retrouvait d’autres tableaux plus anciens dont les motifs étaient pris dans la forêt de l’Isle-Adam, en Normandie, dans les Landes et le Berri. L’ensemble donnait bien l’idée de la force et de la diversité des productions de l’artiste. Grâce à son