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le vent, font encore bonne contenance et portent glorieusement, avec leurs cicatrices, leur épaisse frondaison. Sous la voûte de leurs ramures entrelacées, s’encadre une plaine immense, semée de quelques buissons. Le disque à moitié entamé du soleil, va bientôt disparaître à l’horizon, et la brume rosée qui envahit la plaine estompe déjà et noie peu à peu les silhouettes des broussailles éparses. Par sa construction et sa tenue magnifique, ce tableau compte parmi les chefs-d’œuvre de l’artiste.

Rousseau aimait les espaces vagues qui avoisinent la forêt et permettent ainsi de voir à bonne distance ses grands arbres, de mesurer leur hauteur, et de jouir de la diversité de leurs formes. Cet arrangement qui lui plaisait lui a fourni de nombreux motifs. Dans plusieurs d’entre eux, nous retrouvons cette silhouette disposée en éventail qu’il avait déjà donnée au Four banal et à la Lisière de bois à l’Isle-Adam. Par des inflexions légères et délicatement rythmées, qui ôtent à une pareille disposition ce qu’elle pourrait avoir de trop régulier, il a su en tirer un très heureux parti. Dans le tableau Après la pluie, le piquant de l’effet ajoute au pittoresque de la composition. Des chênes élancés, encore dans l’ombre, se détachent en vigueur sur les nuées assombries, et derrière eux, d’autres arbres, baignés de lumière, étalent leurs brillantes colorations sur le ciel rasséréné. Il y a là un de ces contrastes imprévus dont le spectacle nous frappe toujours vivement dans la réalité et que l’artiste a su rendre d’une manière très saisissante.

Parfois aussi, pour donner au ciel et aux terrains plus d’importance, Rousseau relègue la forêt au second plan et il nous montre les cimes étagées de ses arbres s’abaissant par degrés jusqu’à l’horizon, le long d’un chemin qui, à perte de vue, en borde les contours. Ou bien, ce sont les chaumières de Barbison, serrées les unes contre les autres et entourées des cultures du petit village, avec la parure printanière de ses vergers en fleurs. Mais ces sourires de la nature sont rares dans son œuvre. Le plus souvent, c’est l’âpre sauvagerie de la forêt qui l’attire vers ses coins les plus désolés. Sous un jour brumeux, il aime à peindre les mornes solitudes des Gorges d’Apremont, ou la plaine sablonneuse de Franchart, avec ses amoncellemens de rochers et ses rudes broussailles, parmi lesquelles s’élèvent, çà et là, quelques bouleaux malingres, secoués par le vent. Cette lutte de la végétation contre l’aridité et la pauvreté du terrain lui a même inspiré