Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles Le Roux, devenu son ami et son élève, et il faisait près de lui un séjour en Vendée. Connaissant à fond la contrée où il résidait, Le Roux en révélait à son hôte les coins les plus pittoresques et, profitant de ses conseils, il arrivait à en exprimer lui-même quelques-uns des aspects les plus caractéristiques. Dans une telle compagnie, se sentant ainsi entouré d’affection, Rousseau devenait très expansif. Sans autre souci que celui de son art, il amassait de nombreuses études qu’il conserva longtemps dans son atelier, comme le Marais en Vendée, le Château de Bressuire, et il peignit sur place, dans des proportions un peu plus grandes, sa célèbre Allée de Châtaigniers. C’était une avenue conduisant au château de Soulier, près de Cerisaye, et se présentant presque de face avec les cimes des vieux arbres qui se rejoignent de part et d’autre pour former une voûte de verdure presque impénétrable. La simplicité même du motif imposait à Rousseau l’obligation de le traiter avec toute la conscience dont il était capable.

Suivant une habitude à laquelle il demeura fidèle, après avoir avec soin choisi sa place, il commençait par faire sur sa toile même une esquisse très exacte qu’il peignait ensuite d’un ton de bistre. Il trouvait à cette manière de procéder l’avantage de fractionner les difficultés de sa tâche, en établissant d’abord, avec toute la correction possible, la charpente de son œuvre et la mise en place des masses principales. C’était pour lui l’occasion de se familiariser avec les formes qu’il avait sous les yeux et en même temps de se rendre compte des conditions d’éclairage les plus favorables, afin d’arrêter l’heure précise de l’effet et les valeurs respectives des divers élémens pittoresques de son œuvre.

Telle fut la marche qu’il suivit pour cette Allée de Châtaigniers, sur laquelle, d’ailleurs, il devait, par un excès de conscience, trop longtemps s’obstiner. Mais si l’exagération des contrastes et la rigidité des silhouettes accusaient dans son œuvre l’opiniâtreté de l’effort, l’effet, du moins, était très puissant et la nouveauté de ces recherches témoignait hautement de la conscience et du talent de Rousseau. La peinture, très sage, très loyale, n’avait d’ailleurs rien d’agressif ; elle commandait l’attention et elle aurait dû, tout au moins, mériter quelque sympathie à son auteur. Envoyée au Salon, l’Allée de Châtaigniers fut cependant refusée. Mais l’injustice de cette rigueur